Son nom ne vous dit peut être rien, mais pourtant Scott Koblish œuvre dans l'univers des comics depuis plus d'une vingtaine d'années. Formé par les géniaux Will Eisner, Joe Kubert ou même John Romita, cet artiste américain s'est fait connaître comme encreur et ces dernières années comme dessinateur. Avec son style caméléon, il a pu rendre hommage à Jack Kirby sur la nouvelle version d'OMAC, à John Romita ou même Rob Liefeld sur Deadpool, à chaque fois avec un talent fou ! Loin d'être un simple as du crayon, Scott Koblish a même embrassé une autre passion : celle de la musique. Depuis quelques années, il alterne son métier d'artiste comics et celui de chanteur compositeur dans le registre du folk. Avec autant de cordes à sa guitare, nous ne pouvions que solliciter Scott Koblish pour qu'il nous parle de tout cela.
interview Comics
Scott Koblish
Réalisée en lien avec les albums Deadpool (2013) T2, OMAC - L'arme Ultime, Deadpool (2013)
Bonjour Scott Koblish, peux-tu te présenter et nous dire comment tu as commencé à travailler dans l'industrie des comics ?
Scott Koblish : Je m'appelle Scott Koblish, je suis dessinateur et je travaille pour Marvel Comics depuis maintenant 22 ans. J'ai étudié auprès de Joe Kubert de mes 10 ans à mes 16 ans puis, à la fac, auprès de Will Eisner.
Quelles étaient tes influences à tes débuts et quelles sont-elles, aujourd'hui ?
Scott Koblish : J'étais très influencé par les comics Marvel et par les auteurs et artistes derrière ces récits. Mes goûts et mes influences ont changé et ce à divers moments de ma vie mais, cela dit, les personnages Marvel ne m'ont jamais quitté. J'aile les récits d'aventure, j'aime l'action et les éclats dramatiques.
Après la fac, tu as rejoins les Romita's Raiders, un programme d'études supervisé par John Romita Sr. Quelles sont les choses les plus importantes que tu a retenues de ton passage là-bas ?
Scott Koblish : John Romita insistait sur l'importance de l'éthique au travail. C'était aussi quelqu'un d'incroyablement talentueux qui portait beaucoup d'attention aux détails ainsi qu'un mentor attentionné. On nous demandait de corriger les dessins d'un projet dès qu'il y en avait besoin et il nous fallait apporter ces corrections sans impacter en quoi que ce soit le style de l'oeuvre. C'est comme ça que j'ai commencer à travailler sur plusieurs styles différents en parallèle mais professionnellement, cette fois, pas comme je le faisais du temps de la fac ou du lycée.
Comment décrirais-tu ton style ?
Scott Koblish : Mon style est difficile à définir. Je définis les besoins du projet en cours et j'ajuste mon style de manière à répondre à ces besoins. J'ai fait pas mal de choses pour Disney et rien de tout ça n'avait à voir avec les super-héros, il ne s'agissait que de « petits animaux rigolos ».
Pendant de nombreuses années, on t'a surtout connu comme encreur. Est-ce que ton expérience dans ce domaine t'a aidée en quoi que ce soit dans l'acquisition de ton style très versatile ?
Scott Koblish : Je le pense. J'ai encré plus de 120 dessinateurs, chacun ayant son propre style et j'ai du faire en sorte de m'en accommoder. Je faisais de mon mieux pour être invisible.
Tu a œuvré sur plusieurs titres aussi bien chez Marvel que chez DC. Quel est le personnage sur lequel tu as le plus aimé travailler ?
Scott Koblish : J'ai aimé travailler sur Deadpool, mais Jubilee, dans X-Men '92 a été une très agréable surprise ! J'ai aussi aimé illustrer Psylocke; j'aime dessiner son visage, je me suis arrêté sur une forme proche de celle d'un coeur et ça a été très amusant de le dessiner ainsi – ça laissait beaucoup de place à l'expressivité.
Parmi les personnages que tu n'as pas encore eu la chance d'illustrer, lequel aimerais-tu te voir demander de dessiner, pour une série ou un album ?
Scott Koblish : Je suis très satisfait avec Deadpool, en ce moment, mais j'adorerais pouvoir illustrer la Garde Impériale pour Marvel ou encore la Légion des Super-Héros pour DC.
Parlons un peu de tes travaux les plus récents. Commençons avec O.M.A.C. : connaissais-tu le personnage avant de travailler sur cette série ? Étais-tu fan de Kirby ?
Scott Koblish : Je suis un très grand fan de Jack Kirby. Je pense qu'il n'a que peu de rivaux en matière de design ou de narration. Je connaissais déjà le personnage d'O.M.A.C. Avant de me retrouver sur la série, je suis allé chercher et j'ai relu toute une collection de récits de Jack Kirby. Le run de John Byrne est étonnament difficile à trouver. Je ne sais pas pourquoi une compagnie laisserait un matériau d'une telle qualité épuiser ses tirages mais c'est ce qui s'est produit. Keith Giffen et Dan DiDio étaient plus particulièrement intéressés par l'idée d'une reconstruction au sein du leg de l'approche initiale qu'avait eue Kirby, ils étaient axés sur le fait de parvenir à créer des scènes d'action effrénées. J'ai eu la chance de pouvoir faire partie de cette aventure. Dan et Keith ont plein d'idées géniales et j'ai fait en sorte d'en apprendre le plus possible en travaillant avec eux deux.
O.M.A.C. faisait partie du line-up New 52, chez DC. As-tu ressenti une certaine pression venant d'en haut ?
Scott Koblish : Non, aucune. Juste de l'enthousiasme. C'était chouette de se retrouver impliqué dans quelque chose de neuf. ça peut être très appréciable de travailler sur quelque chose de nouveau et il y avait une énergie positive dans la réalisation d'O.M.A.C. Et j'espère que cet enthousiasme se retrouve dans le travail final.
Dernièrement, on t'a vu travailler de manière régulière sur la série Deadpool avec Duggan et Posehn. Comment t'es-tu retrouvé à travailler sur cette série ?
Scott Koblish : J'ai eu beaucoup de chance. Jordan D. White, avec qui j'avais précédemment collaboré sur d'autres projets, m'a demandé d'illustrer un numéro « flash-back » des aventures de Deadpool. Jordan est un super éditeur et c'est toujours un plaisir que de travailler avec lui. Je fait toujours confiance à son avis et dans ce cas précis, ça m'a amené à travailler avec Gerry et Brian. Ils sont géniaux, tous les deux, très créatifs. Vraiment, des types merveilleux. À un moment donné, en travaillant sur le récit eighties, j'ai ajouté quelques designs marrants de Deadpool où il portait des tenues délirantes. Finalement, on les a tous utilisés sauf un mais je ne désespère de l'utiliser un jour.
Rapidement, tu t'es retrouvé aux commandes de ces épisodes « flash-back ». Pour chaque épisode, tu as adapté ton style à celui de l'époque concernée. D'où est venue cette idée ?
Scott Koblish : J'avais envie de m'exercer un peu et de m'essayer à différents styles. Un des trucs géniaux, avec les comic-books, c'est que le dessin et les choix narratifs évoluent en permanence. J'ai voulu rendre hommage aux meilleurs styles visuels de chaque époque. Pour les années 60, j'ai souhaité rendre hommage à Jack Kirby, pour les 90, à Rob Liefeld, etc. J'espérais pouvoir apprendre beaucoup de choses en étudiant au plus près leurs œuvres et je me disais que ce serait marrant, en tous cas, d'essayer. J'aime bien mener une idée dingue à son terme – je ne sais jamais où ça peut mener mais, au moins, je sais que je vais pouvoir me mettre à l'épreuve en cours de route.
Est-il difficile de singer le style de quelqu'un comme Rob Liefeld ? Si je me souviens bien, tu es allé jusqu'à prendre soin de ne dessiner aucun pied, ce qui est un détail pour lequel il est bien connu.
Scott Koblish : Essayer d'imiter le style des années 90 a été un délire complet. C'est vrai que je me suis un peu moqué de Rob avec cette histoire de pieds mais c'était en toute amitié. L'oeuvre de Rob contient une telle énergie et un tel enthousiasme que c’en est contagieux. Il fait des choix narratifs différent des miens et c'était aussi un des attraits du projet. Il y avait une planche décomposée en 4 cases sur laquelle j'ai rapidement disposé les cases avant même de décider quoi y placer. J'ai ensuite décidé de mettre un énorme gros plan sur un visage dans l'une d'elles et de mettre un plan d'ensemble dans une autre. Le reste en a naturellement découlé, d'une façon très organique. L'ensemble m'a finalement pris très peu de temps et c'était très excitant. D'ordinaire, je me serais trituré les méninges au sujet de la narrations et des différents détails de l'histoire mais, une fois les dialogues mis en place par-dessus les images, l'ensemble a fonctionné d'une manière très intéressante. Je ne me serais jamais essayé à cette façon de travailler si je n'avais pas eu à travailler sur cet épisode.
Tu as aussi travaillé sur Deadpool's Dracula's Gauntlet. Les premiers épisodes ont été publiés directement sur le net. Est-ce que cette expérience a modifié ta façon de travailler et si oui, en quoi ?
Scott Koblish : Travailler sur un comics Marvel Infinite, c'est complètement différent, comme expérience. C'est ce qu'on pourrait appeler un medium bâtard, au même titre que le jazz, et qui existe au confluent des comics, des storyboards et de l'animation. Malgré les similarités qu'on peut lui trouver avec chacune de ses disciplines, ça ne s'y apparente pas vraiment et on peut réussir des choses avec ce type de format auxquelles on ne peut pas parvenir avec le format statique des comic-books. Les cases sont disposées horizontalement, comme avec les films, mais il n'y a pas de son. Et la façon dont les images apparaissent, l'une après l'autre, et les transitions d'une case à l'autre, tout ça est unique. Sur Dracula's Gauntlet, j'ai eu la chance de pouvoir travailler avec Reilly Brown et de pouvoir marcher dans ses pas et d'apprendre ainsi les tenants et aboutissants du medium. Il y excelle et j'ai moi-même essayé d'y apporter ma propre contribution et d'emmener le medium dans de nouvelles directions. Dans X-Men 92', j'ai essayé de placer beaucoup de transitions qui ne sont d'ordinaire possibles qu'avec un Infinite comic.
En ce moment paraissent les tie-ins à Secret Wars et il se trouve que tu es aux commandes de l'un d'eux : X-Men 92'. À quoi doit-on s'attendre ?
Scott Koblish : Du fun. De l'enthousiasme. De l'entrain. C'est ce que je cherche à insuffler dans mon travail. 1992 était une année débordante d'énergie pour les X-Men avec toutes les licences, les jouets, les comics et la série animée. Il se passait beaucoup de choses. On a essayé d'incorporer tout ça dans une seule histoire et d'intégrer l'ensemble à la mythologie instaurée par Secret Wars Battleworld, avec Fatalis en dieu/tyran de toute réalité. Ca a été incroyablement amusant. Chad Bowers et Chris Sims ont été de super auteurs – ils ont un enthousiasme et une approche phénoménale du matériau et je crois que l'on a réussi à créer quelque chose d'unique. J'ai beaucoup de chance de pouvoir travailler sur cette série.
Tu as collaboré avec de nombreux auteurs. Mais parmi eux, y'en a-t-il un en particulier auquel tu dirais « oui » sans hésiter s'il te proposait de travailler de nouveau ensemble ?
Scott Koblish : Les personnes avec lesquelles j'ai eu l'occasion de travailler ont toutes été si géniales que je ne saurais qui choisir. J'ai eu la chance de pouvoir travailler avec chacune d'entre elles. Je suis heureux d'avoir pu apprendre auprès de chacun de mes collaborateurs.
Quels sont tes autres projets ?
Scott Koblish : J'ai un projet avec Joe Caramagna intitulé The Further Travels of Wyatt Earp, on peut le trouver sur Comixology à l'adresse https://www.comixology.com/The-Further-Travels-Of-Wyatt-Earp/comics-series/42545 Je me replonge aussi dans l'univers de Deadpool au détour d'un nouveau volume de la série - je suis très excité à l'idée de ce à quoi on travaille, en ce moment.
Trouves-tu encore les temps de lire des comics et, si oui, y'a-t-il des titres que tu nous recommanderais ?
Scott Koblish : Je lis pas mal – je suis toujours les séries au long cours comme Love and Rockets et The Walking Dead. Les illustrations de Low sont excellentes, Thors [NDT: le tie-in à Secret Wars écrit par Jason Aaron] est merveilleux, la série principale de Secret Wars est incroyable. Squirrel-Girl est chouette, Lumberjanes est très divertissant et Prez est une série amusante que chacun devrait lire. J'apprécie aussi énormément la nouvelle série Justice League écrite et illustrée par Brian Hitch. J'attends aussi avec impatience les nouvelles séries Hulk et Doctor Strange – elles ont l'air d'être super.
Si tu avais le pouvoir cosmique de visiter le crâne d'un autre auteur pour en comprendre le génie, qui irais-tu visiter ?
Scott Koblish : Jean Giraud, (Moebius). L'aisance et la facilité dont il faisait preuve avec chacun de ses traits est une chose que j'aimerais acquérir.
Depuis quelques années, tu alternes entre les comics et la musique. Tu composes et tu joues sur scène. Comment décrirais-tu ton style musical ?
Scott Koblish : Eh bien, je compose des chansons qui traitent principalement de choses que je ne peux pas exprimer d'une autre manière. Il y a quelque chose dans la combinaison du rythme avec les notes et dans leur association avec le langage à laquelle je ne peux pas autrement accéder. Il y a des choses en particulier qui me troublent ou encore qui m'enthousiasment, qui atteignent mon être en des lieux auxquels je ne peux accéder qu'à travers la musique. Jouer de la musique et composer des chansons me permet de me sentir plus vivant et j'apprécie le caractère immédiat du processus. En cela, c'est différent de mes dessins sur lesquels je travaille pendant des périodes de temps bien plus longues.
Quelles sont tes influences musicales ?
Scott Koblish : J'ai beaucoup de repères – Ani DiFranco, Elvis Costello, Dan Bern, They Might Be Giants, Wilco, Liz Phair, the Decemberists, mais, en toute honnêteté, j'aime écouter de tout. On a une radio locale – KCRW (on peut l'écouter sur Internet) – que j'écoute tout le temps et je me laisse aller à écouter toutes les nouveautés qui y passent. J'essaie d'incorporer un peu de tout ce que j'entends à mon travail. C'est difficile d'y parvenir rien qu'avec une guitare acoustique, il y a des choses que j'aimerais pouvoir assimiler comme des boucles ou des rythmes aux percussions que je n'ai pas encore réussi à trouver comment reproduire . Si je devais élire la plus grande de mes influences, ce serait Ani DiFranco. Elle est de quelques mois ma cadette et on a suivi des chemins parallèles pendant la période où on a vécu en même temps à New-York. Sa musique évoque ce qui m'arrivait alors, les gens que je connaissais là-bas et ce qu'elle chante a continué de ma parler alors que le temps passait. Son courage, son honnêteté et sa curiosité sont les choses que j'apprécie le plus dans son oeuvre.
Peux-tu nous parler un peu des textes de tes chansons ?
Scott Koblish : Je travaille très dur sur les paroles et je travaille dur à la présentation, à la structure des accords et au rythme de la chanson. J'ai une approche très organique de la composition musicale. J'ai deux ou trois chansons qui se baladent dans ma tête et, pendant un temps, j'essaie d'appliquer différentes choses et différentes structures à chaque chanson jusqu'à ce que quelque chose prenne. Parfois, j'aime écrire une chanson qui comporte beaucoup de changements d'accords et d'autres surprises du genre comme, par exemple, une chanson évoluant sans jamais retourner au thème de départ. Parfois, aussi, j'aime créer une chanson répétitive qui ne dévie jamais de sa structure initiale. Je pense qu'il est important d'offrir à son public une certaine variété afin qu'il se tienne toujours sur ses gardes et soit attentif. Tout les sujets de mes chansons sont des choses qui me sont très personnelles mais j'enrobe chaque élément significatif d'une couche de métaphores afin que les gens qui écoutent mes chansons puissent trouver un caractère universel dans les paroles.
Peux-tu nous dire si on peut trouver tes compositions en ligne ?
Scott Koblish : Oui, il y a quelques morceaux sur Youtube, en voici deux :
- https://www.youtube.com/watch?v=Ondh1fjjyJ4
- https://www.youtube.com/watch?v=em-ELbi0U88
Est-ce que les fans de comics t'ont donné des avis quant à tes représentations musicales ?
Scott Koblish : Je ne pense pas qu'il y ait beaucoup de personnes qui soit à la fois fans de mes comics et de ma musique. La plupart des gens qui ne connaissent que mes dessins sont le plus souvent déroutées par ma musique. Je m'y représente de manière très différence et ce n'est pas ce à quoi les gens s'attendent. Dans mes dessins, je m'essaie à des styles différents mais dans la musique, je suis quelqu'un de très individualiste. Les deux approches sont très différentes et elles cohabitent mal l'une avec l'autre. Mais ça me va très bien d'avoir deux publics très différents.
Y'a-t-il d'autres talents qu'on devrait te connaître ? Menuiserie ? Tricot ? Tu t'entraînes pour devenir un assassin ? Tu en es déjà un ?
Scott Koblish : Mon assistante éditrice est un assassin, en secret. Peut-être pourrait-elle me montrer comment le devenir ! :)
Merci beaucoup Scott !
Remerciements à Alain Delaplace pour la traduction précise !
Retrouvez également l'interview originale de Scott Koblish en cliquant ici !