interview Bande dessinée

Sylvain Vallée

©Glénat édition 2008

Après avoir assuré la reprise et la fin de la série Gil Saint André, le dessinateur Sylvain Vallée s’est associé à l’un des plus talentueux scénariste du moment, Fabien Nury, pour accoucher d’un petit bijou du 9e art, assurément promis à une belle reconnaissance publique et critique : Il était une fois en France. La référence assumée (et hommage !) aux œuvres ciné de Sergio Léone prend forme à travers l’histoire d’un juif roumain ayant flirté avec les nazis durant l’occupation, Joseph Joanovici. Pour ce faire, Vallée joue avec virtuosité avec son coup de crayon réaliste, de vrais « tronches » de personnages, dans des décors et des cadrages qui n’ont rien à envier aux fresques du 7e art. Une belle réussite !

Réalisée en lien avec l'album Il était une fois en France T1
Lieu de l'interview : Angoulême

interview menée
par
16 novembre 2008

Pour commencer, peux-tu te présenter, nous dire comment tu en es venu à faire de la BD ?
Sylvain Vallée : C’est un long périple pour moi ! C’est un rêve de jeunesse, ce n’est pas un truc tardif, j’ai fait tout pour ça. J’avais 8 ans quand ma mère me faisait les voix lorsque je lisais Tintin, ça créé une vocation ! J’ai découvert la lecture par la BD. J’ai suivi une école de dessin, St Luc à Bruxelles. J’ai commencé en illustrateur freelance puis, alors que j’avais fait une illustration sur Les Tontons flingueurs, les petits gars du Cycliste me sont tombés dessus et m’ont proposé de faire une affiche qui depuis a cartonné. Ce fut une superbe carte de visite, puis cela m’a permis de faire un album qui s’appelle L’écrin, un petit polar à la Audiard avec des personnages truculents et de l’humour noir. Il a été remarqué par pas mal d’éditeurs notamment Soleil et Delcourt qui auraient voulu que je fasse quelque chose dans le même genre. Mais dans le même intervalle, Jean-Charles Kraehn m’a proposé de l’aider sur Gil St André. Il avait aimé mes décors sur L’écrin, mais il voulait une approche réaliste, donc j’ai fait un essai et lorsqu’il les a vus, il m’a demandé de faire les personnages. J’ai un style plus caricatural en temps normal et m’essayer au style réaliste a été une véritable expérience enrichissante. Dès le tome 3, j’ai repris tout au niveau du dessin, c’était un apprentissage avec un mec qui avait du métier, mon dessin avait besoin de se construire. Je suis rentré par une porte ni trop grande ni trop petite, j’ai ainsi fait mes premières armes, avec une épée de Damoclès au dessus de la tête. D’album en album, j’ai pris mes marques et une fois le premier cycle terminé, on en a enchainé avec un second.

Y aura-t-il un troisième cycle ?
SV : On en parle, nous sommes tous les deux très occupés, mais l’idée est dans l’air. Jean-Charles relance Bout d’homme en ce moment et moi Il était une fois en France. Je pense pouvoir intercaler Gil St André et Il était une fois en France.

Comment s’est passé l’enchainement entre les deux séries ?
SV : J’ai eu pas mal de propositions pendant et après le second cycle de Gil St André. J’avais envie de changer un peu de cet univers. J’avais envie de retourner à mes premières amours, un style plus caricatural, un trait plus rond et qui a évolué avec le temps. J’ai eu des projets avec certains auteurs, Yann entre autre... Et puis Glénat s’est pas mal bougé et m’a proposé un scénario de Fabien Nury dont je connaissais la production et le travail. Laurent Muller, ancien directeur éditorial de Glénat, m’a mis sur le projet et j’ai immédiatement accroché. Je voyais déjà comment faire les tronches des personnages, un petit peu caricaturées. Ce n’était pas trop difficile de mettre en place mon dessin sur ce titre. Ce qui l’a plus été, c’était de jouer sur la visibilité et la compréhension des passages d’une époque à une autre, d’où ce choix de ne pas avoir un dessin trop démonstratif, de revenir à une simplicité narrative et linéaire. Des mecs comme Dodier sont le summum de l’efficacité au service du scénario, graphiquement et scénaristiquement ça se bonifie à chaque fois. Savoir se mettre en retrait pour servir une histoire et ne pas mettre de l’esbroufe dans le graphisme qui nuirait à la compréhension du récit. Je me positionne comme un narrateur graphique, je me sers du dessin pour raconter une histoire.

Justement, tu n’as pas envie de te remettre au scénario ?
SV : Et bien ça va venir, j’ai des projets plein les cartons. J’ai du lourd sous le pied mais je ne peux pas en parler pour le moment. J’ai deux projets de comédie dont un pour Glénat. En fait j’ai des projets de collaborations super intéressantes qui se présentent à moi mais je me dis que quand on commence à bosser tout seul, on n’a plus qu’une envie, c’est de continuer à bosser tout seul ! J’ai un peu cette crainte là, celle de ne plus collaborer avec quelqu’un pour ne plus faire de concessions. Je n’ai pas envie de démultiplier les scénarios, j’ai des projets et des envies qui verront le jour quand je serais rassasié de mes possibilités de collaboration.

Est-ce que Fabien Nury te laisse une certaine marge de manœuvre sur le scénario ?
SV : Le scénario est assez verrouillé, Fabien a quasiment rédigé l’ensemble de la série et peaufine quelques détails. Seuls les dialogues restent à finir. La série comptera six volumes. Mon intervention et mon exigence viennent plus dans la volonté de transcender ses intentions et les émotions contenues dans son scénario. Je mets une certaine direction d’acteurs, je ne veux pas changer l’histoire de Joseph Joanovici, Fabien s’est suffisamment inspiré de la réalité pour ne pas la changer. J’interviens sur des choix de mise en scène, je ne suis pas un mercenaire, je ne veux pas passer pour la dernière roue du carrosse et passer derrière le scénariste. J’ai envie de m’impliquer sur le scénario, c’est pour ça qu’avec Fabien, je lui fais un story-board extrêmement poussé et là commence la discussion sur la mise en scène visuelle. Je veux qu’il ait une vision quasi finale de la planche. C’est à ce moment là que j’impose ma patte.

Cela doit prendre plus de temps…
SV : C’est vrai qu’il y a un certain ping-pong qui se crée et qu’on discute beaucoup des scènes. On peut revenir aussi sur des dialogues qui ne sont pas aussi géniaux que ça, car au final ma planche suffit. C’est ce que j’aime dans cette collaboration, c’est primordial d’avoir cet échange. Il est impossible pour moi de travailler avec quelqu’un avec qui je n’ai aucun échange, j’en ai besoin. Du coup, si je commence à bosser tout seul, j’aurais sûrement plus d’exigences vis-à-vis de moi-même sur mon scénario. Il devrait sortir un album par an, même si je mets moins de temps que ça pour le réaliser, le restant de l’année me sert sur les dessins préparatoires de Gil St André et sur mon projet de comédie. Je fais toujours quelques illustrations, mais maintenant que j’ai décidé de mener deux séries de front, le temps me manque. J’ai commencé la BD tôt, je compte la finir tard !

Lorsqu’on lit le premier tome, on ne peut s’empêcher de penser à Sergio Leone ou Francis Ford Coppola…
SV : On ne s’en cache pas du tout, cela fait parti de nos influences, c’est totalement voulu et assumé. C’est l’histoire d’un parrain en France… Je me sers de la BD pour faire du cinéma, je crois qu’elle est multiple et que sa narration peut être proche du cinéma.

Quelles sont tes influences en BD ?
SV : Je vais retomber sur les mêmes : je suis un héritier d’Uderzo qui a essayé de se trouver. Pas dans la mise en scène ou dans le sujet, mais dans la physionomie des personnages. J’adore Loisel, Plessix, Tardi… J’ai autant de plaisir à lire Guibert ou Trondheim. Je suis un défenseur de la diversité de la BD, j’en lis toujours autant, il y a énormément de gens à découvrir. J’ai envie de faire une comédie mais aussi du roman graphique, du récit plus intimiste. Il y a autant à apprendre dans le comics et le mangas, il y a une narration très différente mais il y a des choses à apprendre. Monster, dans sa narration, est très proche de la BD franco belge.

Si tu avais une gomme magique pour une corriger un détail ou une partie d’une de tes BD, souhaiterais-tu l’utiliser ?
SV : Sur le premier tome, oui la moitié ! C’est normal car je bosse sur la suite donc je suis insatisfait des tomes précédents, c’est normal. Quand le tome 2 sortira, je serai insatisfait du tome 2. La gomme magique peut servir à pas mal d’auteurs comme moi qui voudrait revenir sur ce qui a été fait, mais en même temps je suis très content de ce que j’ai fait, c’est le cœur qui parle.

Si tu étais un bédien, quelles séries conseillerais-tu ?
SV : Trois ombres de Cyril Pedrosa, Long John Silver, et tant d’autres.

Si tu avais le pouvoir cosmique de visiter le crâne d’un autre auteur pour mieux le connaître, qui irais-tu visiter ?
SV : Est-ce qu’on peut voyager dans le temps ? Car si c’est possible, je dirais moi dans 20 ans !

Merci beaucoup Sylvain !