L'histoire :
En 1905 en Roumanie, Joseph et Eva sont deux enfants du même âge à se terrer pour échapper à un pogrom particulièrement sanguinaire. Ils se marient quelques années plus tard et émigrent en France en 1925. Ils frappent alors à la porte d’Emile Krugh, ferrailleur à Clichy et oncle d’Eva. Rustre réticent de prime abord, l’homme accepte d’héberger le couple : pour avoir travaillé dans une fonderie moldave, Joseph s’y connait plutôt pas mal en métaux. En peu de temps, le jeune homme se rend indispensable et fait fructifier l’entreprise. Il parvient même, en négociant lui-même la plupart des transactions, à mettre une belle somme d’argent de côté, pour sa famille : Eva a alors mis au monde deux filles. Il ne sait ni lire ni écrire, mais il a mis au point un système très efficace pour compter, à base de dessins de semelles et de chaussures… Plus tard, lorsque l’oncle a des dettes à régler, Joseph lui propose son aide financière… à condition de devenir actionnaire majoritaire. Les années de guerre et le marché noir aidant, le self-made-man roumain se transforme en milliardaire. En 1947, il est le plus puissant caïd de Paris. Décoré en tant que résistant, poursuivi en tant que collabo, son réseau est très étendu, son pouvoir d’influence prodigieux, notamment sur la police. Lorsque la DST et un juge opiniâtre décident de le faire tomber…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Courageux, immigré, roi du système D et illettré, Joseph Joanovici montre une ambiguïté très intéressante dans ce premier volet. Ce personnage réel de notre histoire amassera pourtant une fortune colossale durant les années de guerre, en fournissant aussi bien la résistance que les collabos, ce qui lui permettra de devenir une sorte de « parrain » de la pègre parisienne. Entremêlant savamment les époques, sans alourdir une narration d’une belle densité (sur 56 planches), Fabien Nury découpe et séquence son récit à la manière de films tels que Le parrain, ou des fresques de Sergio Leone. Le titre fait d'ailleurs ostentatoirement référence à ce dernier (Il était une fois en Amérique…), mais au vue du résultat, force est de constater que l’ambition n’est pas usurpée. La biographie romancée de cet homme charismatique et équivoque reste fluide et palpitante de bout en bout… et il n’y a pas de raison pour que ça change au cours des 5 tomes prévus pour la saga. On retrouve ici le souffle de la grande fresque historique, qui a fait par exemple le succès de séries telles que les Maîtres de l’orge. Le dessin de Sylvain Vallée (à ne pas confondre avec Francis Vallès) emprunte une verve graphique semi-réaliste d’une belle maturité. Ses cases chiadées, souvent panoramiques, plantent des décors adaptés aux différentes époques entremêlées (de 1905 à 1965), parfaitement documentées. Côté personnages, le dessinateur insiste un peu plus sur la caricature qu’il ne se le permettait sur Gil Saint André : oreilles décollées, visages taillés à la serpe… Et cerise sur le gâteau, quelque soit leur âge, on les reconnait du premier coup d’œil. C’est vraiment très fort ! Les bases d’une grande épopée criminelle sont posées, à ne surtout pas manquer !