interview Bande dessinée

Xavier Fourquemin

©Le Lombard édition 2008

A l’automne 2007, Xavier Fourquemin créait l’évènement aux côtés de Jean-Philippe Derrien, en publiant un diptyque original de « fantaisy-urbaine-victorienne » au sein de la collection Signé rénovée du Lombard : Miss Endicott. Il revient aujourd’hui au côté de Pierre Dubois, elficologue (si si, ça existe !), pour une nouvelle série empreinte de contes et de mythologie celtique, La légende du Changeling. Les lecteurs envoûtés par sa patte artistique à la fois spontanée et raffinée (une gageure !) vont se régaler…

Réalisée en lien avec l'album La légende du Changeling T1
Lieu de l'interview : Angoulême

interview menée
par
7 juillet 2008

Bonjour Xavier. Pour faire connaissance, peux-tu te présenter : ta vie, ton œuvre, comment en es-tu arrivé à faire de la bande dessinée ?
Xavier Fourquemin : Je crois que ça va ressembler à beaucoup d’auteurs BD. Pour moi, la BD est un moyen d’expression privilégié depuis que je suis gamin. J'ai toujours dessiné, j'ai toujours aimé raconter des histoires par le dessin. Vers 14 ans j'ai décidé d’en faire mon métier. J'ai envoyé mes premières pages à Spirou à ce moment-là, je me suis fait envoyé promener gentiment. Après, j'ai fait des études classiques, jusqu’au Bac. Puis une école de BD en Belgique, à Tournai. J'ai signé mon premier contrat en 1997. Je fête donc mes dix ans de BD en ce moment. La série éditée par le Téméraire s’appelait Alban, avant d’être reprise par Soleil. Puis j'ai fait quatre albums chez Glénat, pour une série qui s’appelait Outlaw. Enfin, il y a trois ans, j'ai signé au Lombard pour Miss Endicott.

Tu as signé avant de connaître Jean-Christophe Derrien ?
XF : Non. En fait, les éditions Soleil ont arrêté Alban et je me suis retrouvé du jour au lendemain sans rien. J'ai donc essayé de monter un projet perso. D’un côté, j’avais des contacts avec un scénariste qui connaissait Pol Scorteccia du Lombard et d’un autre côté, je connaissais personnellement quelqu’un qui bossait aux éditions Bamboo. Je suis donc allé vers eux pour présenter mon projet. Le dessin, l’ambiance leur plaisaient bien, mais il y avait des petits trucs qui leur plaisaient moins au niveau scénar. En fait, c'était des séries de courtes histoires d’horreur et cela ne rentrait pas dans leur catalogue. Comme ils travaillaient déjà avec Jean-Christophe Derrien, ils m’ont demandé de remanier un peu le scénar et si cela me dérangeait de travailler avec un de leurs scénaristes. On a donc refait le projet, de manière à ce que cela convienne à Bamboo, avec une héroïne, un truc un peu plus classique. Finalement, cela plaisait au directeur de collection, mais pas à l’éditeur. Moi, ayant un numéro de téléphone au Lombard, j'ai pris ce projet-là pour le présenter au Lombard et cela s’est fait.

On sent dans Miss Endicott (je ne sais si toi tu l’as senti ?) que tu as passé un palier graphique au niveau de la finition…
XF : En fait, c'est un cheminement. Sur Alban, à l'époque, je cherchais à retrouver une vivacité dans mon trait qui pouvait rappeler le crayonné. Donc, je crayonnais très peu et je faisais beaucoup d’encrages. Cela me plaisait bien, mais je trouvais cela un peu chargé après coup. Au début, Alban était fait pour être en noir et blanc. Sur Outlaw, j’avais un crayonné super rapide aussi, puis un encrage rapide au feutre, parce qu’il y a beaucoup de choses qui arrivaient avec la couleur. Enfin sur Miss Endicott je me suis trouvé en train de faire différemment d’Alban ou d’Outlaw. En fait, j'ai décidé de faire du Outlaw, mais sans avoir à faire la couleur. J'ai fait le fainéant. J'ai essayé d’épurer mon trait, mais pour se permettre un trait épuré, il faut que les dessins soient super justes. On ne peut pas se cacher derrière des trames, donc j'ai dû crayonner plus et l’encrage a vachement été simplifié.

C'est une forme de prestige d’être directement d’entrée dans la collection Signé, qui se concentre plutôt sur les rééditions ?
XF : Oui, surtout après s’être fait jeté de chez Soleil, c'est très sympa. Le Lombard a trouvé les planches super belles, ils ont eu envie de mettre cela dans la collection signée. Au début, Miss Endicott devait se composer de quatre ou cinq tomes avant d'être intégrée à la collection Signé.

Quel est le retour public ?
XF : Cela a l’air de bien se passer, on est content. Il y a bien eu quelques mauvaises critiques, mais on ne peut pas faire un album qui fait l’unanimité. On a eu des critiques que je peux comprendre, mais que j’assume.

Elles portaient sur quoi ?
XF : Notamment sur le fait que ça tourne plus en action au tome 2, mais c'est ce que je voulais. Je voulais un truc d’action, une BD d’aventure populaire. Donc, qui dit aventure, à un moment il faut que ça bouge ! Comme ce sont deux longs albums, on avait beaucoup de pages, donc on a amené l’histoire et l’ambiance tout doucement dans le premier tome. C'est vrai que cela s’accélère dans le deuxième, mais je pense que si on avait le deuxième comme le premier, les lecteurs se seraient un peu fait chier. 150 pages avec une petite nana qui déambule dans les rues, c'est sympa un peu, mais après il faut que ça évolue !

Le format diptyque n’est-il pas un peu restreint comme espace de vie pour Miss Endicott ?
XF : Un peu. Au départ, la collection prestigieuse a permis de bien mettre la série en avant, donc on a été très content. Cela permet une grosse pagination, donc on peut prendre le temps de placer les ambiances. Maintenant, c'est vrai qu’on voyait plutôt Miss Endicott comme une héroïne récurrente, un personnage populaire. Le format diptyque nous a aidés, mais je crois que cela freine aussi quelque part. Je pense que Miss Endicott est un personnage populaire qui aurait pu avoir une longue vie avec beaucoup d’albums.

Pourquoi pas d’autres épisodes justement ?
XF : On est en pleine discussion. On ne raconte pas l’histoire de la même façon en deux tomes qu’en une série. Cela va être une discussion entre l’éditeur, le scénariste et moi. Apparemment, le public a l’air d’adhérer.

Miss Endicott a-t-elle donc encore des choses à dire ?
XF : Il y en a toujours. L’univers est mis en place, et tout reste ouvert, dans l’idée qu’elle peut revenir.

Jean-Christophe est partant ?
XF : Oui, lui c'est son rêve d’avoir une série au Lombard.

Et pas toi ?
XF : Moins que lui, je ne sais pas. Oui, j’aimerais, c'est une de mes envies, mais maintenant ce n’est pas à ce point. J’aime faire de la BD, j’aime raconter des histoires. C'est vrai qu’une série, c'est génial, parce que cela permet de voir évoluer les personnages. Et je pense aussi bêtement, d’un point de vue graphique, sur les premiers tomes on s’attache au personnage. Une fois que l’univers est installé, on peut l’utiliser pour travailler d’autres choses. Je sais que sur Alban un moment donné je me disais « Tiens, cet album-là, je vais faire un effort sur les mains, je vais me concentrer sur les plis… ». C’est ainsi qu’on évolue, on trouve des automatismes, cela nous permet de nous occuper d’autres choses. J’imagine qu’au niveau scénar, c'est pareil, il y a certaines choses qui sont mises en place, on va pouvoir creuser certains aspects. L’avantage d’une série, c'est aussi l’attachement au public. En sortant de l’académie, j’avais envie de secouer un peu les gens, de faire des BD un peu plus trash. J’ai découvert finalement que j’avais envie de plaire aux gens. Miss Endicott est une BD « confortable ». Dans son bureau, il y a des fauteuils…

… et les ambiances sont chaudes ?
XF : Voilà. J’avais envie d’une BD qui fait du bien au lecteur. Quand il ouvre le tome 2, il sait qu’il va retrouver une telle ambiance, cela le rassure, j’aime cette idée de la BD. Comme les Gaston : le soir on s’emmerde un peu, on va se chercher un Gaston et hop, on se retrouve dans le Journal Spirou, dans les couloirs, on est un peu chez soi, on est bien. J’avais envie de développer un truc comme cela et c'est vrai qu’une série pour cela, c'est très bien.

Comment s’est passée la relation avec Scarlett ?
XF : Je ne l’ai jamais vue, on a tout fait par Internet. En allégeant mon trait, j'ai laissé de la place à la coloriste. A priori, je n’aimais pas trop les couleurs informatiques, à part celles de Scarlett. C'est de l’informatique assumée pour moi, il n'y a pas d’effet, on ne fait pas comme si c'était de l’aquarelle ou de la gouache. Et puis le Lombard l’ont contactée et m’ont annoncé qu’elle était d'accord pour bosser sur le projet. Nickel.

Après Miss Endicott, il y a eu la Légende du Changeling
XF : oui, aux côtés de Pierre Dubois. Le « changeling » est un enfant fée qui est échangé contre un enfant humain. Les fées vont chez les humains, enlèvent le bébé et mettent un enfant à eux. La série devrait durer 4 albums normalement.

Et à part cela ?
XF : Là c'est bon. Je suis rapide, mais quand même. On va réfléchir à Miss Endicott, on va voir un peu ce qu’on fait avec cette demoiselle-là.

As-tu des envies particulières ?
XF : J’aime l’heroic fantasy. J’aimerais une série de longue haleine, avec des personnages récurrents, heroic fantasy, mais presque citadins. J’aime bien les univers citadins, je ne suis pas très exotique.

Un truc cyber ?
XF : Non, j’aimerais raconter l’histoire d’une ville à la rigueur, une ville qui se développe, une ville médiévale, avec ses différents quartiers, ses différents habitants, les guildes, sectes, me plaisent bien.

Ce n’est pas un peu rôliste ?
XF : J’ai fait du jeu de rôle à l'époque, mais je n’aimais pas la partie voyage. Je préférais les univers clos, où tous les personnages avaient des rapports entre eux et quand tu faisais une connerie, cela se répercutait. Très chiant pour le maître de jeu, mais agréable pour le joueur.

La quête de la prophétie des élus ?
XF : Un moment donné Jean-Christophe voulait emmener Miss Endicott en Inde et je lui ai dit non. Miss Endicott pour moi, c'est son quartier, c'est sa ville. J’adore le fait que Batman soit à Gotham City, Harry Potter est à Poudlard. Je n’ai pas trop aimé le dernier, parce qu’il partait justement, j’aimais bien l’école. Je pense qu’un personnage vit aussi par son entourage et son univers, c'est pour cela que j’aime les personnages secondaires aussi.

Si tu étais un bédien, quelles seraient les BD que tu aurais envie de conseiller aux terriens ?
XF : En ce moment je lis quelques Mangas : Monster, 20th Century Boys, Zipang , celui avec le navire de guerre qui se retrouve à la bataille du Midway. Sinon, j’aime aussi la BD argentine, hispanique, tout ce qui est Torpedo et compagnie, Breccia.

Si tu avais le pouvoir cosmique de te téléporter dans le crâne d’un autre auteur de BD, pour comprendre son œuvre, qui choisirais-tu de visiter ?
XF : Je suis un grand fan de Franquin, un grand admirateur du Spirou de ces années-là. On peut mettre Peyo avec. J’aime bien Jeff Smith aussi, avec Bone. La BD a un côté magique… Créer un univers aussi attachant, en quelques traits… Je trouve que les mecs qui arrivent à faire cela avec le minimum, pour moi, c'est le summum de la BD. Cela a un côté ludique : créer quelque chose avec deux ou trois traits.

Merci Xavier !