L'histoire :
A la cour de Florence, la fête bat son plein sous les désirs pernicieux du duc Alexandre de Médicis, chef débauché, violent et imprévisible. Pourtant, son second Lorenzaccio retient beaucoup plus l’attention et fait s’agiter toute la cour. Etrange être cynique, libertaire et libertin, dissimulateur et comploteur, « Lorenzo » semble s’amuser de toute l’agitation qui gravite autour de lui et du duc. En effet, un souffle de révolte et de rébellion gronde contre Alexandre le tyran. La famille des Strozzi rêve de République pour la grande ville d’Italie, mais le patriarche Philippe Strozzi n’ose pas passer à l’action. Sous le regard amusé et nihiliste du trublion Lorenzaccio, tout va rapidement exploser quand le fougueux Julien Salviati, ami du Duc, poursuit de ses ardeurs la belle Louise Strozzi. Pierre Strozzi décide de venger l’honneur de sa sœur mais son intervention met le feu aux poudres. Dans le même temps, Alexandre tombe sous le charme de la douce Catherine, sœur de Lorenzaccio… Le destin implacable est en marche.
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Reprendre en BD une puissante œuvre littéraire n’est pas chose aisée, surtout quand il s’agit de la célèbre tragédie de théâtre, écrite par Alfred de Musset en 1834. Régis Penet s’attaque donc à un monument, mais il a une belle maîtrise du « romantisme baroque » et s’en tire donc à merveille. L’épais ouvrage qui en ressort est à la fois respectueuse du modèle et en même temps une production toute personnelle. Notamment, Penet n’hésite pas à faire quelques entorses à la pièce. L’action ne se situe plus au XVIème siècle à l’époque de Charles Quint, mais à un siècle qui s’apparente plutôt au XIXème, vu l’aspect des costumes, redingotes et robes de soirée. Le siècle de Musset, donc. Penet cherche visiblement à dépeindre les obsessions de Musset à travers ses œuvres et ne se limite pas au seul Lorenzaccio. Obsessions d’une génération qui témoigne d’un mal être invisible, d’une désillusion profonde en l’homme et en la politique, une mélancolie incontrôlable qu’on appelle le romantisme noir. A cet égard, le personnage de Lorenzaccio incarne à merveille cette génération désabusée qui se vautre dans la luxure et pleure la perte de son innocence et de son honneur. Penet fait donc la somme des œuvres de Musset, en mêlant habilement plusieurs de ses textes fondateurs : les répliques des personnages issues de la pièce côtoient des réflexions intérieures reprises du poème ténébreux La nuit de décembre. Le visuel est aussi une façon de peindre ce désenchantement et la chute du personnage principal. Penet enchaîne habilement les plans pour mettre en lumière les trompe-l’œil et les faux-semblants de chaque personnage. Le carnaval de Venise est une vaste mascarade et les miroirs, reflets d’eau et autres masques, dissimulent mal la perfidie de l’homme et sa déchéance. Les couleurs sombres et les gros plans ultra réalistes des visages des personnages matérialisent avec puissance une mélancolie profonde, une tristesse tragique et ce romantisme noir cher à Alfred de Musset. Cette bande dessinée est donc à la fois une reprise de la pièce et une déviation délicate et intelligente de l’œuvre, rendant hommage au message et au talent du poète dramaturge de Musset. Ce dernier disait dans La nuit de Mai « les plus désespérés sont les chants les plus beaux et j’en sais d’immortels qui sont de purs sanglots ». La bande dessinée parvient à atteindre cette poésie sombre et magnifique : Penet a réussi le pari fou d’imiter, de sublimer et de mettre en images le style d’un de nos plus grands écrivains français.