L'histoire :
Sur le fin littoral de sable qui entoure une île rocheuse, un buffle essaie de pousser la montagne centrale avec sa tête. Soudain, un varan le mord au mollet. « Aïe, qu’est-ce que tu fais, toi ?! » « J’ai faim, je mords ! ». Le buffle s’insurge contre ce réflexe naturel, car il s’est investi d’une mission : sauver l’île d’une comète qui lui fonce dessus depuis plusieurs jours. Le varan comprend qu’il a peut-être bien fait une bêtise. Car non seulement sa morsure handicape désormais le buffle, mais en plus, le venin va le tuer d’ici quelques jours. Philosophe, le buffle accepte son destin, pourvu que le varan l’aide à pousser l’île de la trajectoire de la comète… La journée suivante, les deux animaux poussent l’île, côte-à-côte, de toutes leurs forces, jusqu’à épuisement…
Une autruche névrosée passe ses journées à cacher sa tête, qu’elle trouve hideuse, dans le sable, les buissons, sa propre toison… Elle attend donc la nuit pour aller s’abreuver à la marre. Et ce qu’elle voit dans les ondes du reflet, éclairé par le filet de lumière de la lune, la conforte dans son idée d’elle-même : elle a une tête toute distordue, vraiment trop laide. Soudain, un oiseau se pose sur son dos et se met à la picorer de son bec. Cet intrus finit par agacer l’autruche, qui sort la tête du sable pour lui demander d’arrêter. Une discussion s’entame alors…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
A chaque album, Jérémie Moreau nous épate un peu plus que la fois précédente. Ce Discours de la panthère inscrit plus encore son œuvre dans le répertoire du conte philosophique, dans la lignée issue de la Saga de Grimr et de Penss et les plis du monde. Ou plus exactement, passionné et inspiré par les travaux de géants comme Descola, Darwin ou Deleuze, Moreau explore cette fois un territoire philosophique qu’on pourrait situer entre les fables animalières de la Fontaine et le cheminement initiatique de pensées de Platon – carrément ! A travers plusieurs contes qui, en se recoupant par moments, participent au final d’un existentialisme animal chorale, il met ainsi en scène : tantôt le buffle poussant une montagne ; tantôt l’autruche qui se croyait moche ; tantôt l’éléphant qui redoutait perdre la mémoire de son peuple ; tantôt l’étourneau anticonformiste ; tantôt le bernard-l’hermite installé dans une coquille trop vaste. Indépendamment, chaque conte brille de pertinence et interroge sur la condition et les réflexes héréditaires. Ils sont enfin rassemblés par la dernière histoire et un discours de panthère promis par le titre. Une sixième réflexion parabolique nous est alors soumise, quant au cycle de la vie, à la sélection naturelle au sein du règne animal. Comme un pied-de-nez jouissif, Moreau évacue tout rattachement à l’homme. Ainsi débarrassé de ses passions, le règne animal est plus brut, la nature imparable. C’est véritablement puissant.