L'histoire :
Une fois de plus, Manel furette dans les rayonnages de son libraire préféré, Patrick. Mais elle a beau tout retourner, il n’y a pas un seul bouquin qu’elle n’ait pas déjà lu, dans toutes les thématiques possibles. De dépit, Patrick lui conseille d’aller voir du côté du rayon presse, un domaine qu’elle ignore – et pour cause, ça ne l’intéresse pas du tout. Pourtant, Manel subit un choc émotionnel quand elle découvre son nom en couverture de la plupart des journaux people. Elle comprend qu’elle a un homonyme hyper célèbre, Manel Naher, qui défraie furieusement la chronique. Patrick lui avoue même qu’il avait cru un temps qu’il s’agissait d’elle… Nahel repart de la boutique avec un bouquin (tout de même) et un des magazines causant de cette autre Manel Naher. Elle rejoint la mégapole commerciale grouillante et verticale. Au terme d’un parcours piéton, la voilà qui retrouve son appart et son ami Ali, qui l’attend depuis des plombes pour faire réchauffer un bol de nouilles chinoises. Elle lui fait part de sa découverte… mais Ali connait évidemment déjà cette chanteuse : elle vient de gagner un disque d’or avec son tube Mon nom sur toutes les lèvres. Manel n’en a cure. Tout ce qu’elle veut, c’est quitter cette ville de fous. Elle veut rejoindre « le grand vide ». Elle vient même de compléter sa panoplie d’aventurière pour ça, avec une machette qui coupe super bien…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
A travers cet épais Grand vide, au financement assuré par diverses bourses en faveur des jeunes créateurs, Léa Murawiec propose une réflexion sur notre condition humaine au sein d’un monde fourmillant, hyper connecté, mercantile, déshumanisé. Que sommes-nous face à cet environnement ? Est-il encore possible d’y avoir une identité propre, un destin non formaté ? Diplômée de l’Ecole Estienne en 2015, l’autrice met en scène une jeune femme qui refuse l’effet panurge et l’assimilation au sein d’une condition urbaine qu’elle trouve artificielle. Enthousiaste et dynamique, son personnage de Manel Naher veut rejoindre un territoire légendaire, le « grand vide », qu’on peut assimiler au retour à la nature, au mythe du bon sauvage cher à Rousseau. Pour déclencheur de son acte de rébellion, elle se découvre une célébrité homonyme, qui étouffe tout sens à son existence. Elle effectuera cette mue au prix d’un long, très (trop ?) long roman graphique monochromique, qui passe par tout un tas de circonvolutions intérieures et d’expériences limite ésotériques, réelles ou fantasmées, auxquelles on ne comprend pas tout et qui finissent par lasser par la redondance de leur propos. Le trait stylisé joue avec des personnages aux proportions régulièrement et volontairement exagérées, comme s’ils étaient reflétés par des glaces déformantes. Outre cette particularité, le rendu graphique est surtout intéressant lorsque Manel se retrouve noyée dans l’environnement urbain, ses perspectives ultra verticales, ses innombrables invitations publicitaires. Sur ces planches qui confinent à l’art contemporain et qui transigent exceptionnellement avec la bichromie de tons bleus (il y a du rouge !), le sentiment de vertige et de profusion accorde toute sa pertinence à la réflexion.