L'histoire :
Bordeaux, 1942. Arthur et Isabelle s'aiment en secret car le danger guette. Lui est juif. Or les policiers ont ordre d'arrêter les personnes de confession juive dans le cadre de la politique collaborationniste du régime de Vichy. Un beau jour, la police débarque chez Arthur : sa sœur et son père sont arrêtés, lui réussit à s'enfuir. Souffrante, sa mère est exécutée par les policiers. L'affaire concernant la fuite d'Arthur remonte jusqu'au secrétaire général de la préfecture de Gironde, Maurice Papon, agacé et inquiet de la réaction des Allemands. Arthur apprend à Jean, un de ses amis, que son père et sa sœur Léna sont désormais retenus au fort du Hâ. Jean décide d'aller les chercher. Grâce à un boulanger, il réussit à infiltrer le camp et à ramener Léna. Désormais, ils vont devoir se cacher pour éviter les arrestations. L'histoire d'amour entre Arthur et Isabelle semble finie avant d'avoir réellement commencé. Plus tard, Maurice Papon reçoit une note du ministère de l'Intérieur, datée du 1er septembre 1942, qui rappelle les quotas exigés par les Allemands. Il n'y a pas assez de Juifs étrangers pour satisfaire les quotas de 1000 Juifs par convoi. Papon prend donc la décision de vider les camps d'internement, le fort de Hâ et le camp de Mérignac, pour satisfaire aux exigences allemandes en complétant avec des Juifs français... Quarante ans plus tard, Arthur veut faire juger les responsables qui ont participé à faire tuer sa famille. Une quête de justice commence... Maurice Papon, ex-secrétaire général de la préfecture de Gironde, sera inculpé pour la première fois en 1983 et jugé définitivement en avril 1998...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Johanna Sebrien et Jean-Baptiste Bertholom, pour qui c'est le premier roman graphique, se sont penché sur un sujet original et difficile : le procès Papon et la chaîne des responsabilités dans l'administration française collaborationniste sous Vichy. Homme politique – préfet de Paris de 1958 à 1967, député gaulliste de 1968 à 1978, ministre du Budget de 1978 à 1981 – Papon fut surtout le premier haut-fonctionnaire français à être condamné par la justice française, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, pour son rôle de secrétaire général de la préfecture de Gironde sous l'Occupation. A ce titre, il signa des ordres d'arrestation et envoya plusieurs centaines de Juifs vers les camps de concentration. La BD aurait pu être rébarbative, mais c'était sans compter sur le talent des auteurs à traiter sobrement et intelligemment cette période lourde de silences et d’ambiguïtés. Habilement, Johanna Sebrien insère une romance fictive pour la mêler à la vérité des faits historiques, en un chassé-croisé narratif fluide et lisible, captivant de bout en bout. Le récit pose des questions essentielles : les fonctionnaires de Vichy ont-ils collaboré activement (ce qu'a toujours nié Papon le concernant) ou n'ont-ils été qu'un rouage administratif, obligés d'obéir dans une entreprise qui les dépassait ? Signer un papier équivalait-il à tuer un Juif ? Le savait-il ? La justice a tranché en 1998 : 10 ans de réclusion criminelle pour « complicité de crimes contre l'humanité »... Parfaitement documenté et minutieux – Johanna Sebrien a rédigé un mémoire sur le sujet – le récit n'en reste pas moins d'une grande lisibilité, tant la scénariste ne livre que l'essentiel, sans taire pour autant la complexité des débats. Une gageure ! Les moments clés, éclairants ou charnières, sont évoqués : arrestations de Juifs en Gironde en 1942, pourparlers secrets entre fonctionnaires français et allemands, procès Eichman à Jérusalem en 1961, procès de Papon, le plus long de l'histoire judiciaire française (procédures de 1983 à 1998). Quant à la romance évoluant en parallèle des faits historiques, elle fonctionne parfaitement tant l'émotion est pudique et retenue, juste et mesurée. Une réserve toutefois : les liens entre personnages ne sont pas toujours limpides au début, et le parallèle avec la sanglante manifestation d'octobre 1961 peut semer la confusion chez le lecteur peu familier de la période (rappelons que Papon, alors préfet de Paris, porta la responsabilité de la dure répression exercée contre la manifestation des Algériens). Le dessin de J. B. Bertholom est quant à lui magnifique, parfaitement dans le ton. Dans un style hyper-réaliste quasi photographique, vêtu de noir et blanc, il se signale par des encrages lourds de sens et de tragédie, d'une précision clinique, captant toute l'ombre d'un passé qui a encore aujourd'hui du mal à passer. Un magnifique travail de Mémoire, plutôt rare en BD, à travers un sujet pas évident à traiter. Avec rigueur et émotion, voilà une quête de justice aussi instructive que bouleversante, qui nous immerge dans la partie la plus sombre de notre histoire. On termine la lecture la gorge nouée... Chapeau !