L'histoire :
Rosa est une femme paumée, détruite, violée et enceinte. Jusque-là, la vie n’avait pas été tendre avec elle. Recueillie par le shérif du comté, ce dernier l’emmène dans une station service, à Las Rosas, afin de lui trouver un refuge. Là-bas, ils y rencontrent Marisol, la femme qui tient la boutique. Dans ce lieu en apparence anodin ne vivent que des femmes, souvent détruites par la vie : Marisol est entourée de copines qui regardent une telenovelas, le feuilleton sentimental à succès. Toutes ces femmes, parfois de passage, ont vu rêves de grandeur et blessures se transformer en mirages dans les limbes du désert. Au cœur des discussions, il est question d’Angel, sans doute le fils de Marisol, homme idéalisé et très attendu, emprisonné depuis des années et qui doit être libéré bientôt. Dans les parages rôde Pedro Cuervo, l’ancien mari de Rosa, la sœur défunte de Marisol. Mais tout est flou, personne ne connaît réellement la nature des relations qui unit tous ces personnages. Par ailleurs, certains doutent de l’identité sexuelle de Marisol. Certes, c’est une femme, mais elle présente néanmoins quelques muscles saillants... Une chose est sûre : Rosa, la femme enceinte, a trouvé un endroit protégé, peuplé uniquement de femmes. Pour Marisol et les autres, la ville, lieu de la corruption et de tous les vices, s’oppose au désert, Eden encore vierge et pur. Dans ce lieu, il est possible de se reconstruire loin de la cruauté hommes, pour retrouver une innocence désormais bafouée...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Ca sue, ça grince, c’est Las Rosas ! Ce livre est une réussite. La qualité de ce roman graphique réside dans ses non-dits, ses silences et sa capacité à suggérer le drame en train de se jouer. Entre désirs d’ascension sociale et brutalité des rapports familiaux ou amoureux, les tensions narratives sont exacerbées par la sécheresse du paysage. Alternant trames blanches et grisées, réflexions métaphysiques et dialogues de série B, le récit est parfaitement équilibré et huilé. L’aridité du paysage est proportionnelle à l’humanité des personnages mais aussi à leur violence intérieure. Les plaies encore à vif des acteurs parlent de secrets, lourds et graves, que le récit se chargera d’exhumer afin d’en souligner toute la dramaturgie (l’attente absurde, d’Angel notamment, être fantasmé, idéalisé, qui fixe et entretient la tension narrative, dans un jeu de dévoilement progressif). Ce one-shot offre un tableau déjanté du rêve américain, peint sur un mode paroxystique. Camés, dealers, illuminés, transsexuels, féministes, alcooliques, flics, cinglés, sorcières peuplent un univers crasseux et poisseux, brossant une galerie de portraits dense, comme autant de parcours brisés, marqués par la marginalité et les désillusions. Le livre brille aussi par la richesse des univers déployés : entre vraie/fausse telenovelas, « western tortilla à l’eau de rose » et tragédie grecque aux accents œdipiens, le récit brasse une multitude de registres et de niveaux de lecture. En forme d’hommage aux laissés-pour-compte, aux écorchés vifs, aux marginaux et aux oubliés du rêve américain, Las Rosas est une pièce en trois actes qui suinte l’âpreté de la vie. Un livre d’une intelligence rare.