L'histoire :
D’abord dessinateur politique de profession, Mana Neyestani est ensuite contraint de réaliser des illustrations pour enfants. En 2006, il dessine un dialogue entre un gamin et un cafard, auquel il fait prononcer le mot « namana », terme qu’on utilise couramment lorsque l’on ne trouve pas ses mots… Sauf que voilà, ce mot est d’origine azéri et les Azéris forment un peuple d’origine turque du nord de l’Iran, opprimé depuis longtemps par le pouvoir central. Sorte de provocation inutile ou insulte inacceptable, le dessin réveille les susceptibilités de certains d’entre eux et débouche sur des manifestations d’étudiants doublées d’émeutes dans tout le pays. Les Azéris d’Iran se sentent insultés et le régime de Téhéran a besoin d’un responsable. Le bouc-émissaire est tout trouvé, il s’agira de Mana. Commence alors un véritable cauchemar pour lui, dépassé par un régime opaque et une machine judiciaire qui s’emballe. Avec ce fantôme qui hante ses nuits : l'image de ce foutu cafard... Que lui est-il reproché ? Il n’en sait trop rien, mais une fois arrêté et emprisonné, le voilà embarqué dans des interrogatoires sans fin à la prison 209 ou au Ministère des renseignements et de la sécurité Nationale. Pour un motif en apparence absurde, l’existence de Mana est en train de prendre un tournant inattendu, sinon effrayant…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Une métamorphose iranienne livre le récit authentique du dessinateur Mana Neyestani, qui a eu le malheur de dessiner en 2006 le mauvais mot au mauvais moment. Dans des atmosphères bureaucratiques froides, en prison ou dans des salles de ministère grises et anonymes, on suit le parcours cauchemardesque de Mana. Persécuté, soumis à une bureaucratie aveugle et sourde, témoin de violences glaçantes, Mana est pris au piège d’une machine judiciaire qui s’emballe, face à des dirigeants corrompus dans un Etat façonné par la censure. Partageant son expérience avec le parti-pris d’une narration kafkaïenne aux frontières de l'onirisme, du non-sens et de l’humour noir, l’auteur joue en permanence la disproportion entre l’absurdité du motif de l'emprisonnement et ses conséquences fortuites. Sobre réflexion sur la liberté d’expression ou l’horreur de la vie carcérale, soutenue par un trait expressif très juste, la BD retrace le destin d’un individu livré à des autorités tyranniques, avec cette question lancinante et angoissante : qui va décider de mon sort et au nom de quoi ? Il est donc bien question d’une métamorphose, non pas celle d’un pays, mais du regard d’un homme sur la réalité politique de celui-ci. De cette réalité totalitaire qui asphyxie, Mana en ressortira moins naïf, plus lucide et plus conscient. Cette histoire oppressante dessine finalement le portrait édifiant d’un pays livré au seul règne de l’arbitraire, où une parole, un geste, un dessin ou un mot de trop peuvent mener tout droit au cachot et donc, à l’enfer. Au-delà, c’est aussi la radiographie d’une dictature ne supportant pas la contradiction. A la fois captivant et effrayant. Un livre salutaire.