L'histoire :
Le temps a passé. L’eau a coulé sous les ponts de la grande cité, allant jusqu’à inonder les rues et engloutir les plus bas reliefs. Nonette n’est plus là. Ne reste que l’homme de sa vie, qui longtemps l'a fuite, et leur fils muet. Lorsque, comme aujourd’hui, l’homme se sent mal, il enfile un scaphandre et se réfugie au fond du royaume englouti. Son fils, c’est tout ce qui lui reste et il ne faudrait pas sa détresse l’emporte aussi. Un bref regard sur sa vie en arrière suffit à comprendre qu’il n’a pas lieu d’être fier. Lâche il fut et il a « pas mal merdé ». Inventeur de génie, il est à l’origine des premiers automates dont il a réparé un spécimen afin d’offrir une compagnie à son fils. Son fils, il le gâte chaque jour davantage. Cette fois c’est une boîte à musique qu’il remonta de l’eau. Une boîte magique qui, d’un tour de manivelle, permet aux paroles d’une ritournelle d’illustrer les pensées du garçon sans voix. Mais pendant que le père est reparti plonger, un représentant de Kinematic System se présente. Ce dernier cherche à rencontrer l’inventeur pour lui proposer de rejoindre sa société. L’automate, lui, s’étant muni d’un fusil à piranhas et redoutant un retour à l’usine fait feu… lâchant malheureusement les horribles poissons dans l’eau : c‘est fini, le père du muet ne remontera plus…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Au terme de la trilogie, il reste difficile de définir l’univers baroque de cette série tant sa perspective, tout autant scénaristique que graphique, surprend. La raison cartésienne n’est d’aucune aide et l’on demeure perplexe devant une œuvre flirtant avec l’absurde d’un Franz Kafka ou d’Horlogiom en bande dessinée. Visuellement, cet album respire. Ecrit intelligemment, mêlant poésie et un phrasée plus cru, la narration alterne dialogues et voix « off » ne figurant que l’essentiel, laissant le gros morceau à l’illustration. Car les émotions sont avant tout visuelles. Un découpage adroit, une architecture urbaine recomposée, un crayonné très abouti… et des couleurs à dominante froide (bleu et vert) conférant une douceur peu commune à l’ensemble. D’où probablement cette atmosphère mélancolique qui transparaît de bout en bout. D’où cette dichotomie surprenante, ce paradoxe latent, entre un dessin serein et des événements ô combien tragiques. Des protagonistes de l’histoire, peu survivront. Mais qu’importe, l’avenir appartient à ce jeune garçon qui, bien que muet, grandit et mûrit à l’ombre d’une technologie finalement pleine d’espoir. Si les mots ont une âme… A y repenser, on pense à une autre série aux titres existentiels, tout aussi poétiques qu’énigmatiques, songez à Aberzen (chez Soleil) et ce premier album qui annonçait : Commencer par mourir. Un rapprochement qui, je l’espère, encouragera les curieux…