L'histoire :
Alger début 1962. Sur une plage de la ville, les inspecteurs Paco Martinez et son accolyte Choukroun font une bien macabre découverte : les corps sans vie de deux tourtereaux, nus. Elle est française, il est arabe. L’homme qui porte sur le dos l’inscription OAS gravée au couteau a été emasculé et ses couilles ont été placées dans sa bouche. Un énième assassinat, dans une ville en proie à un climat lourd et pesant, rythmée par les plasticages et les règlements de compte ? Les deux flics ne s’arrêtent pas à cette évidence et mènent l’enquête. Rapidement, ils découvrent l’identité des deux victimes. Lui, est un jeune étudiant nommé Mouloud Abbas, sans histoire, qui préparait l’internat et projettait de continuer ses études sur Paris. Elle, s’appelait Estelle Thévenot, élève en 4ème année de Pharmacie, issue d’une famille bourgeoise d’Alger. D’après les premiers éléments de l’enquête, les deux étudiants n’étaient pas amants. Pour trouver le coupable, Paco Martinez et Choukroun vont remuer de lourds secrets de famille, à leurs risques et périls…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Passionné de polar et habité par l’histoire coloniale franco-algérienne, Jacques Ferrandez était le mieux placé pour adapter ce roman de Maurice Attia, qui s’inscrit dans une trilogie (les deux autres romans s’intitulent Pointe rouge et Paris Blues). Né à Alger (comme Maurice Attia, d’ailleurs), l’auteur des Carnets d’Orient nous brosse le portrait d’Alger la Blanche, devenue pendant « les évènements », « Alger la Noire », la capitale d’un pays déchiré, dévasté et qui sortira de cette torpeur avec les accords d’Évian signés en mars 1962. Tout le paradoxe du récit réside dans l’absurdité (comme dans l’Étranger de Camus), car ce double homicide commis est finalement une goutte d’eau par rapport aux attentats et meurtres à l’aveugle commis chaque jour. Jacques Ferrandez nous livre ici sa partition, un roman graphique dense et passionnant de plus de 100 pages. Il synthétise avec brio ce polar noir très sixties, en gardant l’essence de l’ouvrage originel et en ne lissant aucun propos : « Le fils a voulu la pute de son père, l’a sodomisé sans management, en scandant, prends ça de la part d’Estelle ». Côté dessin, il se focalise sur les personnages à travers des gros plans (Paco Martinez ressemble trait pour trait à Benicio del Toro !), des protagonistes accidentés par la vie (Irène l’unijambiste, Paco l’orphelin. Son trait caractéristique, direct et sans détour, bénéficie de couleurs plus foncées, moins lumineuses qu’à l’accoutumée. Alger la noire, qui sort à l’occasion du cinquantenaire de la fin de la guerre d’Algérie, donne envie d’en savoir plus sur cette période sombre de l’histoire de France. Une plaie qui aujourd’hui encore peine à se refermer, côté français et algérien.