L'histoire :
En 1979, Etienne Schréder travaille au greffe de la maison d’arrêt de Bruxelles. Il connait son métier et le fait correctement, si tant est qu’un métier pareil puisse souffrir de quelque qualité. Néanmoins, son penchant pour l’alcool est de plus en plus clairement évoqué. Dans les couloirs ou dans la bouche de ses supérieurs, les remontrances sont ouvertement exprimées… Marié, père de deux enfants, divorcé, un boulot peu palpitant… Il suffira d’une suspicion de complicité, une transmission de correspondance pour un gars de la bande à Mesrine, pour que le directeur requiert sa révocation. Sauvé une première fois par un bon avocat, Etienne démissionne l’année suivante, lors d’une nouvelle « glissade », pour éviter une procédure longue au verdict couru d’avance. Son destin le mène presque logiquement dans la rue. Il s’y fait un véritable ami vagabond, « Goupil », avec qui il partage sa passion pour le mauvais vin. En sa compagnie et avec une poignée de marginaux, il quitte la capitale belge pour le sud de la France. Mai 1981, Mitterrand vient d’être élu, Etienne et Goupil sont en Avignon. Puis ce sera Marseille, Toulon, la manche une guitare à la main, les bastons et les cures de désintox qui s’additionnent, invariablement vaines…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
La problématique de ce roman graphique autobiographique est clairement énoncée dès la première phrase. « Je m’appelle Etienne et je suis alcoolique ». S’ensuivent néanmoins près de 200 planches bouleversantes, en noir et blanc, narrant de manière exhaustive les errances d’une vie d’alcoolique. Vous vous êtes déjà interrogés sur l’origine de la décadence de ces dépravés, souillés, presque morts, que l’on voit parfois dans le caniveau d’un métro ? Etienne Schréder nous en livre ici son explication, simple, assumée et éloquente, sans jamais sombrer dans le pathos. Le dessin, la plupart du temps très encré, suit le rythme des moments de lucidité et d’ébriété. Tantôt noir, tantôt désarticulé, il demeure limpide, cohérent, d’une grande justesse graphique. Schréder alterne distances, séquences symboliques, portraits, en parfaite adéquation avec la franchise du propos. Mieux vaut être préparé à affronter un récit aussi sombre, qui ne laisse que peu de place à l’espoir. A l’issue de chaque cure, il retombe en effet un peu plus bas. Cette rengaine infernale saisit néanmoins parfaitement le drame de l’alcoolisme. Auteur de BD (sobre !) depuis la fin des années 80, Etienne Schréder livre l’expérience de ses années de dérive avec une incroyable authenticité. Comme le souligne François Schuiten dans la préface, la démarche artistique et personnelle qui l’a amené à coucher sur papier ce vécu n’a sans doute pas été aussi facile que la sincérité de ton peut le laisser croire. Le délai de réalisation (près de 20 ans) en dit néanmoins long sur le degré de maturité de l’œuvre et sur la difficulté d’en accoucher. Il s’affranchit de l’exercice avec distanciation, en extériorisant le portrait de cet autre lui-même venu d’un temps révolu. En effet, Schréder explique aussi au lecteur que l’ouvrage, exutoire, est avant tout destiné à ses enfants, pour qu’ils sachent. Une introspection authentique et brillante dans la peau d’un alcoolique, à conseiller à tous ceux qui sont confrontés, de près ou de loin, à ce drame social.