L'histoire :
Dans cette grande ville anglaise des années 40, Fernandez Britten, petit, élégant, typé latino, est un détective privé totalement désabusé. Comme chaque matin, il se lève au terme d’une nuit insomniaque et pluvieuse, la mine défaite, et se rend à son bureau pour… n’y rien faire. Car depuis quelques mois, Fern refuse toutes les affaires de mœurs et d’adultères qui composaient jusque là son quotidien. Il n’en pouvait plus d’annoncer les mauvaises nouvelles aux maris cocus ou aux épouses trompées. Or, les vraies enquêtes intéressantes, de type meurtres, ne sont pas légion. Il passe donc le gros de ses journées à papoter avec son meilleur ami, Stewart Brülightly, qui n’est autre qu’un… sachet de thé ! Ce jour là pourtant, Charlotte Maughton, fille d’un gros éditeur, vient le trouver pour qu’il enquête sur le meurtre de son fiancé, Berni Kudos. Officiellement, Berni s’est pendu chez lui, avec sa cravate. Mais pour Charlotte, ça ne colle pas. Pas dans son tempérament, pas la veille d’un mariage. Surtout, de nombreux indices lui font penser que Berni servait d’intermédiaire à son futur beau-père, pour discuter avec un maître-chanteur. Une première et confortable avance sur salaire, et Britten se lance dans une enquête rigoureuse…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
C’est étrange comme on peut avoir l’impression qu’une BD est passée à côté de quelque chose d’énorme. Les premières pages de Britten et associé nous immergent immédiatement dans une atmosphère de polar noir jouissive au dernier degré : un privé désabusé, le blues pour caractère, le spleen pour l’ambiance, la grisaille de principe, les rencontres nécessairement poisseuses… La cliente débarque et avec elle, l’affaire, l’enquête, le début d’une intrigue, pour laquelle on s’attend à se passionner totalement. Et puis bizarrement, la magie n’opère pas. La narration emprunte des détours, trop alambiquée pour qu’on puisse s’y fondre… on se met à retourner en arrière, à se demander ce qu’il vient de se passer, exactement, parce que telle séquence visuelle n’est pas parlante (l’évasion)… En quasi-monochromie, le trait de dessin n’est pourtant pas « très artistique » à la base. Mais la jeune britannique Hannah Berry joue habilement avec les crayonnés et les niveaux de gris au pastel, pour insister sur l’atmosphère glauque. Pour renforcer le sentiment de confinement, elle cadre beaucoup en gros plans, dans de petites cases, à l’exception de pleines pages « d’ambiance » récurrentes, de quelques profondeurs exacerbées ou de plongées 100% verticales. Or, vu que l‘ouvrage dure 100 pages bien consistantes, ce qui devrait ressembler à un monument du polar d’ambiance finit par lasser. Sur les dernières pages, on accepte le pourquoi du comment avec un ouf de soulagement, sans avoir tout compris, mais qu’importe : on a été, l’espace d’une lecture, un vrai privé désenchanté qui soliloque avec… un sachet de thé. Car ce détail schizophrène du caractère de Fern (pratique, d’un point de vue narratif, pour transmettre les états d’esprit du héros) est sans doute l’atout le plus croustillant de ce one-shot pas comme les autres. Avec cette première œuvre qui a requis 3 années de sa vie, Berry est passée à deux doigts d’un grand coup « à la Blacksad »…