L'histoire :
Déprimé devant sa table à dessin, Georges, auteur de BD, désespère de trouver une nouvelle idée de scénario. Soudain, un mail le sort de sa torpeur : un certain Magnus Kuller, capitaine de voilier, lui propose de participer à une expédition artistique et scientifique dans un fjord groenlandais. Le sculpteur allemand Ulrich Kloster veut en effet installer une œuvre monumentale sur un iceberg et s’y faire filmer en performance pour dénoncer l’exploitation de ces zones naturelles par les lobbies pétroliers. Excité par l’idée de l’aventure, tout autant que par le sujet de bouquin tout trouvé, George accepte. Huit mois plus tard, il se retrouve à l’aéroport de Reykjavik, à faire connaissance avec l’équipage hétéroclite embarqué dans l’aventure : une équipe de cinéma, les marins du bord, un géologue, un ornithologue, ainsi que le chaleureux écrivain voyageur Jorn Freuchen et bien entendu le taciturne et agressif sculpteur Ulrich Kloster et son assistant Olaf. Ils prennent le large ensemble à bord d’un vieux voilier, en remontant au-delà du cercle polaire arctique. George découvre le mal de mer, le principe des quarts de veille, l’impératif de porter des combinaisons de survie (grâce à elles ont peut survivre 6h dans une eau à 0°C). Il prend aussi la mesure d’une incroyable tension instaurée par la paranoïa de Kloster envers tous les autres. Quel curieux voyage…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Avec ce one-shot d’aventures contemporaines tout à fait réalistes, Hervé Tanquerelle effectue une mue narrative et graphique intéressante. Les 98 planches du bouquin relatent une auto-fiction originale, dans l’esprit d’un bon vieux Tintin. Sans en atteindre le niveau épique ni les occurrences fantastiques (Hergé était un génie), l’ombre de L’étoile mystérieuse plane en permanence sur l’intrigue. En effet, le héros, un auteur de BD fort peu rompu aux frissons de l’aventure, donc alter ego de Tanquerelle, s’engage dans une expédition arctique qui lui tombe dans le bec et dont il ne maîtrise rien. La performance artistique d’un sculpteur paranoïaque et odieux servira de problématique de fond, mais aussi finalement de prétexte. Car cette performance n’est pas le vrai sujet. Il s’agit surtout pour l’auteur de surmonter les situations inhabituelles dans lesquelles il se retrouve, en compagnie de personnages aux caractères imprévisibles et insolites. Cela fonctionne parfaitement : on se laisse agréablement accrocher par ce périple en terres sauvages et glaciales, sans jamais pouvoir deviner où l’auteur veut nous emmener. Sur le plan visuel, Tanquerelle emprunte pour cela un style de dessin assez nouveau chez lui : ses personnages encrés s’inscrivent dans un style semi-réaliste finalement pas très éloignée de la ligne claire façon Tintin ; tandis que les décors sont assurés selon des techniques différentes (gouaches ? lavis ? tout ou partiellement infographiés ?), la plupart du temps sans contours de formes. Etant donné le milieu naturel dépouillé dans lequel se déroule l’aventure, ce parti-pris ne choque pas et se montre même convaincant. Voilà sans doute un album charnière dans la carrière d’un auteur complet.