L'histoire :
Joël Alessandra est un fils de pieds-noirs. Ses parents, comme environ 800 000 français, deviennent des rapatriés d'Algérie. Ils débarquent en 1962 à Marseille, comme ils disaient « un bras devant, un bras derrière »... A leur arrivée, pas d'assistance, aucun accueil. Ils ne sont attendus par personne, surtout pas les autorités. Une partie de la population locale leur est hostile. Ces bon vieux méridionaux « de la métropole » hurlent sur les quais. « Qu'on les écrase ; les pieds-noirs à la mer ». Le respectable Gaston Deferre, alors Maire, témoigne de tout le respect qu'il leur voue : « Que les pieds-noirs aillent se réadapter ailleurs et tout ira pour le mieux. Qu'ils aillent se faire pendre ailleurs ». Joël naît en 1967. Il se souvient de son père parlant arabe avec des épiciers parisiens et de ses colères lorsque De Gaulle apparaissait à la télé. Mais une fois devenu adulte, alors que son père et ses grands-parents ne sont plus de ce monde, il s'aperçoit qu'il ne connaît d'eux que leur colère rentrée et leur déchirement d'avoir « quitté le pays ». Ce pays, l'Algérie, il doit y retourner, pour savoir aussi quels citoyens étaient ses parents. Étaient-ils racistes ? Étaient-ce des colons maltraitant les arabes ? Joël doit savoir...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Avec son roman (autobio)graphique, Joël Alessandra nous livre son histoire familiale. Comme de nombreux fils de pieds-noirs, il a été éduqué au milieu des souvenirs de ses parents et aussi des non-dits. Les fils de rapatriés portent en effet une histoire proche de celle des immigrés. Tous ont entendu leurs parents parler de leur « débarquement » et de la solitude qui les a accompagnés. Livrés à eux-mêmes, mal considérés par les « métros », ils ont aussi fait l'objet de nombreuses images qui relèvent de la caricature. Du facho frustré vouant une haine commune aux arabes et à De Gaulle, au juif viril et sympa façon Roger Hanin, avec une maman-poule à la Marthe Villalonga, sans même parler des pubs de couscous reprenant le fameux « comme là-bas, dit » (avec l'accent)... Mais Joël Alessandra se fout bien de ces étiquettes. Ce qui l'importe, c'est de comprendre qui furent ses parents lorsqu'ils habitaient l'Algérie. Issu d'une famille de bâtisseurs, il décide d'aller à Constantine, sur les terres et les traces de ses aïeuls. Il ne part qu'avec quelques photos et c'est avec l'appui de français restés au bled et de familles algériennes qu'il va pouvoir recoller les morceaux de son histoire familiale. Ce récit intimiste aurait pu lasser ou, pire, nous laisser indifférents. Mais au contraire, sa mise en forme, avec de très beaux portraits du souk, de la ville et de sa campagne et surtout la grande pudeur de l'auteur, qui sait aussi traduire l’accueil chaleureux qu'on lui a toujours réservé, emportent le lecteur dans le sillage de ce voyage nécessaire pour l'auteur. Un retour en arrière sous forme de découverte, une révélation, mais aussi une libération qu'il nous livre. Qu'on soit ou non concerné par son histoire, on ne peut pas refermer le bouquin sans avoir le sentiment d'avoir bénéficié d'un beau témoignage d'humanité. Saalam Aleïkum, Joël !