L'histoire :
Dans une pièce, parmi une infinité de particules microscopiques en suspension, se trouve un minuscule homoncule. Nourri de gouttes d’eau démesurées, le petit être sympathise avec des acariens et grandit à leur contact. Mais il se lasse rapidement de la condition de ces êtres qui meurent et se reproduisent à un rythme effréné. Un jour, il aperçoit une femme (une vraie) et il décide d’en faire son objectif de vie. Durant des jours, des semaines, des mois, il se dirige vers ce corps gigantesque, qui change sans cesse de place (et donc lui de directions). Un beau jour, enfin, il parvient à poser pied sur ce corps et poursuit sa progression jusqu’à une vaste forêt de poils. A l’intérieur, il choit involontairement dans une mer de spermatozoïdes. Dans un autre pan de la réalité, parmi les humains, Edgard et Edmond sont deux véritables jumeaux. Leur apparence physique et leur patrimoine génétique sont donc strictement identiques, bien que leurs caractères soient opposés : Edgar est un flambeur qui aime les belles bagnoles et les prouesses high-tech ; Edmond, lui, est un intello réservé et sage, pénétré de l’œuvre de Tocqueville. Or, un jour, l’assurance maladie leur demande d’établir leur génome complet. Edmond refuse de connaître ses maladies de prédispositions… tandis qu’Edgar accepte. Or chez les jumeaux, le génome de l’un est nécessairement celui de l’autre ! Edmond apprend donc de son frère qu’ils risquent tous deux une dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA = une tache rétinienne centrale, grossissante en vieillissant). Le médecin leur conseille de manger des brocolis, un légume riche en lutéines. Edmond fait encore plus fort : il se fait greffer le gène du brocoli…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Si les progrès de la génétique ont ouvert la voix à tous les espoirs et à toutes les déviances, ce terrain scientifique demeure encore aujourd’hui difficile à cerner pour le quidam. Laurent Alexandre, docteur en médecine et reconnu pour ses idées visionnaires sur le « destin génétique », cosigne cet album avec l’auteur de BD Alexandre Franc, empruntant un vecteur médiumnique intéressant pour signifier que nous entrons dans l’« âge génomique ». Tous les ingrédients sont là pour nous donner à réfléchir : deux « vrais » jumeaux (donc disposant de génomes identiques) pourvus de caractères antinomiques ; un contexte d’anticipation dans lequel on repère nos tares futures et on se fait greffer le gêne du brocoli, comme on se fait soigner une carie ; une mise en perspective du temps qui passe et des générations se succédant pour faire avancer l’humanité. Toutefois, au-delà d’une alerte sur les dérives potentielles de la génétique (l'immortalité ?), cette histoire emprunte surtout la forme du conte, de la parabole… quelque peu hermétique. Il est dommage d’avoir les clés d’un sujet aussi passionnant et d’en retirer une histoire moyennement explicite. Et le dessin simpliste n’est pas en cause : débarrassé du superflu, il a au moins le mérite d’être clair. A trop soigner sa forme (snobisme ?), l’art séquentiel développé manque de rythme et de limpidité, et la démonstration y perd en impact. En revanche, les nombreux extraits de Tocqueville, en rapport à la société et à la démographie, nous donnent furieusement envie de (re-)découvrir l’œuvre de ce philosophe et sociologue visionnaire. A noter enfin, le mode de pagination « séquencé », très astucieux…