L'histoire :
Lié aux traditions chrétiennes, mais fête profane, le carnaval est ce temps de réjouissances qui bouscule l'ordre naturel des choses. Une mascarade pour la secte du grand chêne qui défend les valeurs druidiques et pour qui « l'homme d'aujourd'hui est maudit, perdu dans un univers froid et mécanisé ». Pour eux, tout n'est pas perdu dans cette lutte entre nature et culture. Ils lancent donc une guerre symbolique. Leur ambition : faire un char pour la fête de mardi gras, composé de monstres issus de la Nature (êtres difformes, fous, infirmes), une manière de pervertir cette fête sans saveur. Ils font donc appel à un artiste qui pratique des greffes, le Docteur Moreau. Epigone de Frankenstein, celui-ci devra leur trouver des monstres magnifiques : des animaux, des elfes, des nymphes, tous difformes ou répugnants, fous ou estropiés, autant de symboles de tout ce que la société rejette...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Après L'Art et le Sang puis Maudit Victor, Benoît Preteseille continue de bâtir une œuvre personnelle passionnante, via une réflexion sur l'ordre social et les normes qui le conditionnent, pour, in fine, mieux les faire voler en éclat. Ici, il met en scène un artiste fou qui façonne des monstres en remodelant la chair humaine et accouche de créatures mi-homme mi-animales, difformes et répugnantes, qu'il doit lâcher le jour du carnaval, comme pour bousculer toutes les conventions. Paradoxe grisant, ces aliénés, ces curiosités scientifiques, ces erreurs de la nature, respirent de vitalité et de beauté, étrangement. La jouissance du héros masqué gisant alors dans la transgression de la norme. D'une fête attendue (Mardi gras), Benoît Preteseille tire un cauchemar métamorphosé en scandale, d'autant plus effrayant qu'il n'est que suggéré. Le héros Docteur Moreau, double de Frankenstein, assumant jusqu'au bout sa « folie » contre la morale bourgeoise. Il est ici pour choquer, pour montrer ce que la Nature a enfanté et ce que la société refuse pourtant de voir. Le beau et le laid n'existent pas, ce ne sont que des catégories reposant sur un consensus mensonger. Une seule mission : déconstruire par la subversion et prouver l'imposture. Avec jubilation, à l'appui d'un scénario efficace et d'une ironie noire délicieusement cynique, l'auteur déroule une réflexion sur la folie raisonnable, l'Art, l’altérité dérangeante et plus généralement sur la déchéance humaine, d'où ressort un monde en proie à la disgrâce. Pas de cases ici, car Preteseille est totalement libre. Ironie de l'histoire : cela ne l'empêche guère de s'approprier les codes du roman-feuilleton, comme pour mieux flouter le chemin emprunté... La foule était venue faire la fête, elle repartira dans le chaos. Malheur à celui qui meurt, car l'Art est du côté de la vie. En retrouvant l'essence même du carnaval, Benoît Preteseille prouve donc qu'il est toujours en quête d'absolu et de vérité. Une bonne nouvelle...