L'histoire :
Après sa rencontre avec Jacky Jourdain et le douloureux « épisode sous le pont », Polza Mancini continue de décrire aux deux policiers qui le gardent à vue, le chemin qui l’a conduit jusqu’à Carole... Celle là-même qu’on le soupçonne d’avoir tuée. Alors Polza, le gros clochard, raconte… Après Saint Jacky, il prend des trains, fait du stop, marche et se laisse porter au hasard des opportunités pour s’éloigner le plus loin possible de la région. L’hiver est encore là et Mancini s’abrite – deux jours au maximum – dans des résidences secondaires abandonnées à la morte saison. Il en profite pour faire le plein : nourriture ; vêtements ; médicaments et alcool à gogo. De temps en temps – tant qu’il en possède encore un peu – il fume de l’héroïne sans pouvoir parvenir à retrouver ce « Blast » salvateur qu’il recherche éperdument. Un jour, il échoue dans une petite ferme sous scellées de la gendarmerie : son propriétaire vient de mettre fin à ses jours par pendaison. Polza est fasciné par l’endroit. Surtout, il est troublé par une série de toiles, dont l’ancien propriétaire est l’auteur. D’une violence et d’une infinie douleur, ces tableaux font parfaitement écho à celles que ressent Polza. Il quitte pourtant la maison un jour plus tard… après l’avoir brûlée pour que personne ne puisse décrocher la corde du pendu : c’eut été obscène… Quelques errances plus tard, dans une autre demeure, il s’observe nu dans un miroir pour une haine de son corps immédiate. Et un profond coup de couteau dans l’abdomen…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
A nouveau magistral, ce 3éme opus conte l’errance de Polza Mancini et continue d'édifier une œuvre essentielle. L’errance de ce personnage hors normes happe une nouvelle fois, à renfort d’une gamme émotionnelle peu commune. Froid comme la lame d’un couteau effilé qu’on loge sous le cou ; brûlant comme une fin d’été qu’on regarde s’éteindre du haut d’une colline ; touchant comme un paysage posé sur une toile , et si palpablement violent... le récit offre sa douleur sans complaisance. Celle d'un gros bonhomme cuisiné par deux flics, pour un forfait dont les contours se dévoilent petit à petit, dans un entrelacs habile, confiant son lot de surprises. Celle d’un homme double – si parfaitement décrit en 4éme de couverture – capable de lécher la main pour une caresse, ou mourant d’envie de vous faire baisser les yeux pour mieux vous les crever. Et de fait, on passe des résidences secondaires fracturées au jardin de Roland Oudinot – et ses incroyables Moaïs – de l’hôpital psychiatrique aux douloureuses rencontres et au corps offert de Carole. On laissera son empathie aux portes des méandres complexes du cheminement psychologique de ce géant à fleur de vie : la répugnance et l’attirance dans un même élan. Manu Larcenet livre ici réellement un scénario exceptionnel : riche d’enseignements humains, en une large mise à nue des dégâts de la « norme » ou bousculant (à raison) nombre de nos repères. Il décrit intelligemment la relation au père, l’absence maternelle ou la complexité de la spirale autodestructrice. Il sert enfin impeccablement un suspens captivant. Difficile, une nouvelle fois, de reposer l’ouvrage sans regretter de quitter, pour de longs mois, celui qui « pèse deux hommes ». D’autant qu’une fois de plus, la partie graphique atteint des sommets : le noir et blanc travaillé à la finesse, au contraste et à l’épaisseur comme jamais, cadré pour l’émotion et laissant nous imbiber lentement de l’histoire de Mancini. Sans oublier la métronomique qualité d’écriture, confiée à une voix-off à l’écho indélébile. Bref tout aussi addictif pour nous, que les barres de « Funky Chocolat » et le gin le sont pour Polza.