L'histoire :
Dans Madrid restée républicaine contre les avancées de Franco, la guerre civile espagnole (1936-39) s'internationalise avec l'entrée des avions allemands et russes. Lulia défend les positions anti-franquistes avec les hommes dans les combats de rue, et fait partie du groupement des « Mujeres libres » (femmes libres), apportant assistance, alphabétisation et travail aux femmes menacées. Les combats ont lieu aussi dans les airs, entre pilotes allemands, russes, italiens, parfois américains ou français mercenaires. L'un d'eux, le russe Roman, avec ses collègues du groupe « Double-Six », Dary le français et Ajax l'américain, sort d'une bataille avec un « souvenir » explicite sur sa carlingue... A Carthagène (port espagnol de Méditerranée), des militaires russes chargent des caisses d'or pour Odessa, prix fixé par Staline pour l'aide de son armée à la cause républicaine et révolutionnaire… mais jusqu'à un certain point. Cette « aide » comprend la présence de Commissaires politiques, comme Frediakov, chargés de surveiller les soldats russes et d’éliminer certains gêneurs. Et certains camarades commencent à comprendre que le retour à Moscou peut être rouge sang, car contaminé par la fréquentation occidentale. Un soir, dans un bar madrilène, les trois aviateurs assistent aux violences de soldats républicains contre de jeunes bonnes sœurs, sans pouvoir intervenir, sauf à encourir l'expulsion. Roman ne peut s'empêcher de réagir, et déjà les Mujeres libres arrivent pour prendre en charge les sœurs. C'est là que Lulia et Roman se voient sans pouvoir se dire un mot. Lulia présente les ateliers tenus par les femmes à Martha, journaliste compagne d'Hemingway. Au milieu de ces troubles, Lulia et Roman ont-ils un avenir ensemble ?
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Le duo Yann (scénariste) et André Juillard (dessinateur) se reforme, en montrant à nouveau une prédilection pour les avions et les guerres « régionales » à retombées universelles du XXème siècle. Leur précédent album, Mezek, traitait de la naissance de l'aviation du jeune Etat israélien. Tant mieux pour nous, lecteurs de ces intrigues individuelles sortant de l'ordinaire, côtoyant l'Histoire qui façonne et broie. Il est vrai que Juillard, toujours à l'aise dans la reconstitution historique, ne cache pas son goût pour les engins de tous types, qu'ils volent, roulent sur route ou sur rail. Et ici, en-dehors des avions, il a croqué avec gourmandise certains véhicules inconnus que le lecteur appréciera sûrement. Avec une période un peu plus éloignée que Mezek, mais plus proche géographiquement, les deux compères nous touchent directement, et rendent leurs personnages sinon plus attachants, du moins plus compréhensibles, avec quelques résonnances actuelles. Et l'intrigue peut s'apprécier, même sans l'allusion à Roméo et Juliette. Dès le début, le lecteur est plongé dans la peur des bombardements des gens de la rue, puis des escarmouches aériennes très bien rendues. Et sauf à en être spécialiste ou informé, on apprend la responsabilité de certains Etats (la France timorée du Front populaire, l'entrisme retors de Staline, etc.), les complications même entre républicains et les différents groupes alliés. L'album alterne très bien histoires individuelles des principaux personnages et l'Histoire qui les rattrape. Comme pour Mezek, le duo d'auteurs est au sommet, et on ne voit pas quel point faible pourrait minorer le grand plaisir de savourer l'album, à part le fait, attendu pour notre époque, de se placer du bon côté. A moins pour certains de ne pas apprécier le trait – toujours à la fois académique et très élégant – de Juillard, moins conventionnel que sur Blake et Mortimer. Un changement, pourtant : la mise en couleurs est plus profonde et travaillée, et certaines cases semblent être en couleurs directes. L'ensemble fait bien ressentir un investissement sans faille, jusqu'à la couverture, somptueuse et pour une fois mate. Ah si, une : il manque 13 planches pour arriver logiquement à 77.