L'histoire :
En mai 2006, l’affaire Clearstream défraie la chronique. Toutes les rédactions de France mettent le sujet à la Une pendant plusieurs semaines. Le commun des mortels n’y comprend pas grand-chose, hormis que Dominique de Villepin, alors Premier Ministre, et Nicolas Sarkozy, alors Ministre de l’Intérieur, se livrent à une guerre juridico-médiatique, dans laquelle l’un essaie de faire plonger l’autre. Un journaliste, Denis Robert, se trouve particulièrement mêlé à tout cela, étant donné que c’est par lui que les premiers éléments de l’affaire ont été remonté à la surface, il y a bien longtemps. Son téléphone portable sonne en boucle, tout ce que le pays compte comme journalistes d’investigations politiques le sollicite pour obtenir son témoignage… alors qu’il n’aspire, à ce moment précis, qu’à quelques jours de vacances en Famille, en Crète. Pour comprendre l’origine de ce déferlement médiatique et les rouages de la criminalité en col bleu-blanc-rouge qui est alors dénoncée, il faut remonter à février 1995. A cette époque, Denis Robert plaque son boulot à Libé. Il ne supporte plus le moule dans lequel sa rédaction l’enferme, il a envie d’écrire un bouquin, indépendant. Il retourne à Metz, dans sa famille et prend un peu de distance avec le métier. Mais le naturel revient au galop, puisque pour son bouquin, il envisage un titre du type : Pendant les affaires, les affaires continuent. En prolongement de « l’affaire Longuet », son enquête porte en effet sur le financement du Parti Républicain…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Attention, au terme de cette lecture, vous ne porterez plus le même regard qu’auparavant sur votre carte d’électeur ! Cette docu-BD brûlot, au format roman graphique noir et blanc, essaie et parvient en grande partie à nous faire comprendre les mécanismes politico-financiers pernicieux qui ont conduit à la corruption du système capitaliste mondial dans sa globalité. Un exercice de « vulgarisation » sur les dérives de la haute finance internationale et de ses liens politiques, en quelques sortes. Paradis fiscaux, financements occultes, transferts de capitaux illégaux et invisibles, manipulations étatiques… Tour à tour, les lecteurs de base que nous sommes, nous mettons à comprendre les limites du système qui est le notre, le seul véritable en vigueur. Pour ce faire, le journaliste Denis Robert (déjà scénariste de BD dans un registre fictionnel) a choisi l’autobiographie : il se met en scène, lui et sa famille, en train d’enquêter et de subir toutes sortes de harcèlements téléphoniques. Ce biais astucieux était nécessaire pour humaniser les aspects abstraits du sujet, tout en estampillant le récit du cachet du vécu. Le point d’orgue de son enquête s’appelle a priori « Clearstream », mais prend racine bien en amont (et sans doute loin d’être terminé) et passe par toutes sortes d’étapes, toutes plus intéressantes les unes que les autres… La prise de conscience est tantôt révoltante, tantôt cinglante, mais le récit est assurément didactique. A priori il faut un certain courage aux lecteurs de BD traditionnelles, pour s’attaquer à un pavé sur un sujet aussi peu ludique. Pourtant, dès les premières pages, on se rassure : le biais narratif est accrocheur et le but de transmission Denis Robert est atteint. Grace au gros travail préalable de story-board, en compagnie de Yann Lindingre, cette aventure des temps modernes est tout à fait accessible et fluide. Si le sujet est « la politique », la démarche de Robert n’est pas « politique » : impartial, il essaie juste de faire passer son expérience, vécue et complexe, de partager sa lecture de ces milieux hermétiques que représentent la haute finance et le pouvoir. Judicieusement, le dessin n’a pas été confié à Lindingre (qui nous a donc épargné la caricature de nos dirigeants pourvus de groins de cochons), mais à Laurent Astier, le dessinateur de Cellule poison. Une véritable prouesse pour ce dernier, que de dessiner ces 204 planches (tout à l’ordinateur !) aussi rapidement, tout en insufflant à des décorums aussi cloisonnés le dynamisme idoine. La BD se révèle donc un procédé pertinent pour partager avec un public non-initié, et de manière explicite, la mécanique juridique, financière et politique qui affole la planète actuellement. Et le dossier est loin d’être refermé : le deuxième tome (sur 4 prévus !), qui nous fera pénétrer plus franchement dans le monde de l’hyper-finance, est annoncé en librairie pour septembre 2009.