L'histoire :
Nous sommes en 1903 et le mouvement anarchiste prend de l'ampleur, alors que la révolution industrielle pose des questions cruciales sur l'asservissement de l'homme à un destin qui ne lui appartient plus. Fortuné Henry a dépensé presque toutes ses économies pour acheter une parcelle de terre dans les Ardennes, au cœur du village d'Aiglemont. Seul avec quelques outils, il entreprend de canaliser les écoulements d'eau, se construit une cabane, et s'installe au milieu de nulle part, à la stupeur des habitants. Le projet de Fortuné est simple : il veut construire ici la première cellule d'une société nouvelle, où les hommes et les femmes vivraient et travailleraient en commun, sans gouvernement, sans autorité, forts de l'ambition commune de vivre ensemble. Il l'explique sans sourciller à un groupe de villageois qui vient à sa rencontre, et peu à peu l'information circule. De premiers volontaires rejoignent l'anarchiste idéaliste, et petit à petit le projet prend forme. Une première maison est construite, le terrain est savamment mis en culture. La communauté d'Aiglemont devient un vrai projet, qui surprend autant qu'il attire la curiosité. Malgré le manque d'argent, mais face à un intérêt de plus en plus grand des journaux et de la société civile, il semble trouver une forme d'équilibre.
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
L'essai fait partie de ces albums qu'on ouvre par curiosité et qu'on ne referme qu'à la dernière page, fasciné par une lecture rare. Nicolas Debon réussit en quelques instants à nous embarquer complètement dans l'épopée de Fortuné l'anarchiste, qui fonde un village communautaire dans un village des Ardennes, à partir de rien. Dès la sortie du train, silencieuse, la force du personnage fascine, tandis que le narrateur nous emmène vers une pleine page où le terrain vierge entouré d'arbres donne une idée du travail à accomplir. Debon raconte sans prendre parti cette utopie politique qui semble aujourd'hui totalement incroyable, mais qui avait suscité à l'époque une réelle fascination. Il le fait en émaillant son récit de moments de joie, de difficultés a priori insurmontables, de moment forts entre les volontaires qui rejoignent le projet. Avec une formidable habileté, il émaille son récit de superbes illustrations, comme cette première vue sur la plage du village inondée de soleil. En couleurs directes, il construit des tableaux qui mêlent les codes de la BD et l'influence de grands maîtres de la peinture, certains de ses champs labourés évoquant les couleurs de Van Gogh. Au delà de la réussite graphique, la montée en puissance de l'utopie et la gestion parfois tendue des contraintes matérielles constituent une sorte de témoignage unique qui semble vécu de l'intérieur. Avec ce nouvel album plein de force et d'intelligence, captivant d'un bout à l'autre, la signature d'un très grand auteur se confirme.