L'histoire :
Un jeune homme en costume tombe à l’eau depuis son pédalo. Comment a-t-il fait son compte pour se retrouver aussi éloigné, dans ce bras de lac isolé et sauvage ? Toujours est-il qu’il remonte sur la rive et entame l’ascension d’un long escalier. Celui-ci mène à une maison ultra-moderne accrochée à flan de falaise, surplombant le lac. La propriétaire des lieux, Sonia, est la veuve d’un célèbre sculpteur. Elle accueille Damien – c’est sous se prénom qu’il se présente – lui offre le thé et lui propose des fringues sèches de son fils, Mattew. Damien s’isole donc dans la salle de bain à l’étage pour se changer. Il s’avère que Damien est une fille, qui cache sa poitrine avec des bandages. Quant il/elle redescend, il/elle fait connaissance avec Mattew, 15 ans, amateur de skate et les cheveux dans le visage. Sonia, elle, est occupée avec deux invités, Chris et Miki. Elle envisage en effet une exposition rétrospective de l’œuvre de son époux défunt et c’est l’heure d’une réunion de travail au champagne, pour mettre au point l’organisation. Pendant ce temps, Damien, alias Judith, s’isole, tourne autour de la maison et rerentre par une bouche d’aération. Qu’est-elle venu(e) chercher exactement en ces lieux ?
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Sacha Goerg, fondateur des éditions L’employé du moi, livre ici un roman graphique baigné d’étrange, d’onirisme et de quête de soi, une œuvre sensible et particulièrement « solide » en matière d’art séquentiel. Bien en marge d’un one-shot grand-public traditionnel, le fond et la forme de son histoire s’appréhendent ici comme un tout cohérent et indissociable. Le choix du trait moderne et de l’aquarelle renvoient au découpage éthéré, qui lui-même se rythme sur la progression intellectuelle de cette héroïne et de sa quête des origines… Il est question de démarche initiatique, de résilience, de recherche des origines… mais il serait réducteur de limiter la portée de cette histoire à son scénario. Rien ici n’est conventionnel, à commencer par cette maison moderne en surplomb, personnage à part entière et émanation de l’âme du sculpteur défunt. La narration emprunte elle aussi des circonvolutions pas toujours faciles d’accès. L’auteur jongle avec les ellipses et avec les non-dits, ce qui ne gène néanmoins jamais la compréhension de la trame. Enfin le dessin utilise la plupart du temps un « gaufrier » de 6 cases par planche, sans la moindre bordure de case, sur fonds blancs… Si fait qu’on ne sait jamais si l’on est dans le réel ou l’imaginaire fantasmé d’un des protagonistes. D’ailleurs, la catastrophe finale est infiniment plus proche de l’allégorie psychologique que d’un chaos plausible. Bref, c’est puissant, mature, virtuose, pertinent, exutoire… et pas forcément d’accès aisé.