L'histoire :
1815. A la tête d’une poignée d’hommes, le capitaine Saint-Elme traverse l’Afghanistan pour rejoindre Savary, chef des services spéciaux de l’Empire français à Bombay (!). Car en 15 ans, Napoléon s’est rendu maître de presque toute les Indes, après avoir conquis l’empire Ottoman et reflué l’armée anglaise aux portes du Bengale. Coincé dans un guet-apens, Saint-Elme et ses soldats ne doivent leur salut qu’à l’intervention providentielle d’une colonne d’artillerie blindée à vapeur. D’une de ces machines, descend un curieux personnage, Charles Nodier, scientifique et écrivain, spécialiste de l’occulte. Durant le trajet, les deux hommes sympathisent et évoquent le cas de la résistance anglaise sur le plateau de Nichapur. Malgré une tactique militaire irréprochable pour conquérir cette bande de terre coincée entre le Gange et les contreforts de l’Himalaya, les gurkhas ont mis l’armée napoléonienne en déroute pour la première fois depuis 20 ans. Cette défaite est attribuée au génie tactique d’un mystérieux général anglais, caché dans un fourgon sous bonne escorte. Nodier évoque la possibilité que cet officier ne soit pas humain. Mais il surveille tout de même de près la matrice du « piano Enigma », machine servant à coder les messages via le télégraphe de Chappe…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
En ce moment, le dada de Jean-Pierre Pécau est de réécrire l’Histoire. Après 7 tomes moyennement convaincants d’Histoire secrète, le scénariste imagine à présent un premier Empire différent, dans lequel Napoléon n’a pas chu en Prusse. Cet exercice s’appelle une « uchronie », une idée qui a vu le jour en 1836 (cf le roman Napoléon et la conquête du monde) ou dans des essais d’historiens britanniques en 1932. Le point de divergence se situe cette fois en 1799 au terme de la campagne d’Egypte qui, dans la fiction de Pécau, voit Bonaparte s’emparer de l’empire ottoman, puis des Indes. Confinés aux frontières du Bengale, les anglais jouent évidemment les trouble-fêtes. Dans cette histoire revisitée, un tour du monde en 80 jours a échoué, Surcouf est capitaine de l’empire, le savant suisse Frankenstein tente de faire revivre de la chair morte et l’enfance de Saint-Elme est celle de Mowgli dans le Livre de la Jungle ! De même, des inventions ont vu le jour avant l’heure : la propulsion d’aérostats à hélices, le fusil à air comprimé et la révolution industrielle a quelques années d’avance grâce au développement démentiel de la machine à vapeur (à l’image des récits de steampunk). Certes, le scénariste ne quitte plus le dessinateur Igor Kordey, dont le style graphique est à la fois subtil et embarrassant. Impeccable dans ses proportions et pour retranscrire les scènes panoramiques, son trait est beaucoup plus fluctuant sur le faciès des personnages. Au terme de ce premier volet (sur 3 prévus), Pécau lance le lecteur sur des pistes énigmatiques et captivantes (les cartes perforées de la machine à tisser de Jacquart, étrangement décédé sur les rives du Loch Ness…). Bref, une mise en bouche est à la fois cohérente, documentée, dense et bougrement intéressante !