interview Bande dessinée

Igor Kordey

©Delcourt édition 2008

Si Delcourt est devenu en 2007 l’éditeur de bande dessinée le plus prolifique en France, Igor Kordey est pour partie non négligeable responsable de cet état ! Le dessinateur croate a un rythme de production effréné : 1 tome tous les 2 mois ! Il passe ainsi de L’histoire secrète, à Empire (avec Jean-Pierre Pécau), ou du Cœur des batailles à Taras Boulba (avec Jean-David Morvan) sans problème. Même pas mal ! En attendant sans doute, d’ici quelques temps, la suite tant attendue de Smoke… Malgré son apparence rude et quelque peu effrayante (il est… assez costaud), Igor est quelqu'un de très sympa !

Réalisée en lien avec l'album Taras Boulba T1
Lieu de l'interview : Librairie Bédélire (Tours)

interview menée
par
9 mars 2008

Bonjour Igor, pour faire connaissance pouvez-vous présenter brièvement votre carrière ?
Igor Kordey : Ma carrière remonte à quelques années maintenant, j'ai mis beaucoup de temps à me décider à savoir que faire dans ma vie, et donc à réaliser de la bande dessinée. J'ai été à une école d'art pendant deux ans avant de devenir freelance, et de me lancer sur le marché international. J'ai commencé en France à la fin des années 80 sur La saga de Vam chez Les Humanoïdes Associés puis sur Les cinq saisons chez Dargaud. Ensuite, j'ai commencé à travailler pour le marché américain jusqu'en 2004, où j'ai dessiné de nombreuses séries comme Star Wars, Star Treck, X-Men, Tarzan et tant d'autres. Et puis je suis revenu sur le marché européen et en particulier celui français avec Delcourt, avec lesquels je me sens très proche et développe de nombreux projets. J'ai dessiné Le coeur des batailles, L'histoire secrète, Empire et Taras Boulba.

Comment avez-vous rencontré l'éditeur Delcourt justement ?
Igor : C'est grâce à mon agent, Mr Kopecksky, qui m'a présenté à Fred Blanchard et qui m'a proposé L'histoire secrète ! A l'origine, les sept tomes devaient être faits par sept auteurs différents mais ils étaient tellement en retard que j'avais déjà eu le temps de finir les deux premiers tomes ! On m'a alors proposé de faire les tomes 6 et 7, et je l'ai fait (rires) ! Plus je travaillais sérieusement et vite, plus on me proposait du travail ! Jean-Pierre Pécau a donc écrit Empire pour moi, pas comme un spin-off à L'Histoire secrète, mais comme un titre de divertissement. Au même moment, j'ai été approché par Jean-David Morvan pour Le cœur des batailles. Il lançait à cette époque la collection Ex-Libris et m'a demandé de travailler avec lui sur Taras Boulba. C'était un roman que j'avais beaucoup aimé plus jeune, c'est une grande aventure avec de l'amour, des meurtres et le lien père-fils.

Que pensez-vous de votre parcours aux Etats-Unis, quels souvenirs en avez-vous gardé ?
Igor : Pas de très bons (rires) ! J'avais commencé par dessiner dans le magazine Heavy Metal et dès 1994, j'ai travaillé intensément. Le rythme était très rapide, me poussant dans mes limites, je n'avais plus ni week-ends, ni vacances ! Cela m'a permis de comparer les deux styles de vie et de travail entre l'Amérique du Nord et l'Europe. L'expérience a quand même été enrichissante parce que cela m'a permis de dessiner des personnages mythiques pour beaucoup. Les éditeurs par contre sont peu compréhensifs et traitent assez mal leurs créateurs. C'était entre autre ce que je n'appréciais pas vraiment. A l'inverse, chez Delcourt, ils font tout pour que l'on soit dans de bonnes conditions pour créer, on fait partie de la famille ! C'est la chose la plus importante pour moi !

Qu'en est-il alors des comics ? Vous avez arrêté définitivement ?
Igor : Oui, je ne travaille plus sur des séries. Parfois je fais des couvertures pour DC comics et Vertigo. Je me limite à ça pour le marché américain !

Nous apprécions vraiment la série Smoke, travaillez-vous toujours dessus ? La série est-elle abandonnée ?
Igor : Smoke n'est pas fini ! Le problème est que le contrat a expiré avec mon éditeur (NDLR : IDW). Je suis très fier de cette série parce que c'est mon seul et unique projet aux Etats-Unis que j'ai envie de continuer. Alex et moi pourrions négocier avec un petit éditeur, mais il ne pourrait pas soutenir la promotion nécessaire. Ce n'est pas un titre comme les X-Men qui se vendent tous seuls. Les droits s'arrêtent en septembre en 2008. Je prendrais ensuite du temps pour rechercher l'éditeur qui continuera Smoke. En France, Delcourt a sorti un tome, mais en fait vous devriez en avoir cinq de plus pour avoir une histoire complète d'environ deux milles pages.

En 2007, vous avez multiplié les séries, combien de temps passez-vous par tome ? Comment faites-vous ?
Igor : Je produis un tome en deux mois, ce qui fait donc six par an ! J'essaie de ne pas travailler à proprement parler, mais actuellement c'est toute ma vie, c'est la voie que j'ai choisi, je dessine tout le temps. J'adore ça et l'autre raison est que j'ai une famille nombreuse (rires) ! On peut dire que mon expérience aux Etats-Unis m'a au moins apporté un rythme de travail rapide, c'est juste une question de discipline. L'autre raison est que je me consacre aux dessins depuis une vingtaine d'année et que l'on progresse de jour en jour. Je ne perds pas de temps à faire des recherches sur les décors, les architectures et les armes que je peux dessiner… je fais tout de tête. Je ne réalise pas de « rough », je dessine directement à l'encre ce que j'ai à l'esprit. C'est ma façon de travailler.

Quels sont vos futurs projets ?
Igor : En ce moment, je suis sur Taras Boulba t.2, je viens de terminer Le cœur des batailles t.2, et je me prépare au tome 13 de L'histoire secrète. Je prépare aussi un nouveau projet pour cette année, mais rien n'est fait. C'est avec un ami qui a travaillé sur une série Star Wars, Darko Macan. C'est très différent de ce que je fais pour Delcourt, parce que tout ce que je fais est plus ou moins sur l'Histoire. Je ne veux pas que les gens croient que je ne suis pas capable de faire autre chose. Ce sera dès lors quelque chose de basé sur notre quotidiens.

En France, vous avez travaillé uniquement avec Jean-Pierre Pécau et Jean-David Morvan. En connaissez-vous d'autres qui aurait attiré votre attention ?
Igor : Je n'en connais pas d'autres, mais ceux-là sont déjà devenus mes amis (rires). Je suis très satisfait de ce que l'on a fait ensemble, spécialement avec Jean-David.

Parmi vos collaborations, si vous deviez choisir votre série préférée entre L'histoire secrète et Empire ?
Igor : Je travaille sur L'histoire secrète depuis un long moment, je ne sais pas... Empire est totalement différente, elle joue avec l'Histoire et offre de nombreuses possibilités... On souhaite aussi apporter des changements album par album, afin d'innover à chaque fois. En fait, je ne sais pas laquelle choisir entre les deux, vraiment. Chacune d'elle a son charme, j'aime bien Empire parce que je peux designer les dirigeables ou les armes, c'est un vrai challenge.

Et entre Le cœur des batailles et Taras Boulba ?
Igor : Je n'aime pas trop cette question, j'aurais préféré que tu me demandes quel est mon titre préféré dans tous mes albums, là pour moi c'est plus simple, je t'aurais dit Smoke.

En commençant L'histoire secrète, vous attendiez-vous à un tel succès ?
Igor : Pas vraiment, mais Delcourt m'a annoncé très vite les excellentes ventes des premiers tomes à l'époque. Même les nouveaux tomes partent bien, ce qui est plaisant, car malgré des époques et des lieux différents, tout reste connecté. Je pense que si ce que l'on a fait est bon, cela se vendra.

Concernant Empire, on sait qu'il y aura un second cycle, serez-vous toujours à la barre ? Pouvez-vous nous donner quelques détails ?
Igor : Oui bien sûr, en fait on verra sûrement la suite dans une année, le temps que je finisse Taras Boulba et L'histoire secrète. Ensuite avec Jean-Pierre, on veut réaliser une nouvelle série qui ne ressemblera ni à Empire ni à L'histoire secrète. Après tout ça, je repartirais sur Empire !

Quand j'ai lu Taras Boulba, j'ai eu l'impression que votre version était plus brutale que celle du roman...
Igor : C'était une époque très brutale. Retranscrire cette violence me semblait logique, en tout cas c'est mon opinion. La race humaine est très brutale, que se soit aujourd'hui ou il y a des milliers d'année... J'ai aimé travailler sur ce titre, non pas parce que c'était violent mais parce que c'est une bonne histoire.

Quelles sont vos références ?
Igor : En ce moment, j'aime beaucoup le travail d'Eduardo Risso sur 100 Bullets. C'est un des meilleurs artistes pour le noir et blanc. Richard Corben aussi. Enfant, je lisais beaucoup le magazine Metal Hurlant, c'était innovant. Depuis une dizaine d'année, j'adore les mangas. Parmi les derniers titres qui m'ont marqué, il y a Ya San, le dessinateur (Huang Jia Wei) est incroyable, ce manga est totalement fou ! Pour moi, 90% des mangas sont bons à jeter tandis que 10% sont magnifiques, c'est comme la littérature.

Vous ne colorisez plus vos titres...
Igor : Parce que je n'ai pas le temps. Le dernier titre que j'ai colorisé est un graphic novel de Star Treck pour DC Comics et Paramount Pictures. Je ne regarde quasiment pas le travail des coloristes sur mes albums car je ne pourrais jamais être satisfait. Par contre sur Taras Boulba, Mr Wang Peng est incroyable, il a atteint un résultat supérieur à ce que j'imaginais moi-même.

Seriez-vous tenté d'écrire vos propres scénarii ?
Igor : Oulah doucement ! Il y a un temps pour tout (rires) ! Je pense qu'un bon scénario est un travail de professionnel, je fais déjà le mien ! J'ai beaucoup d'idées que j'ai écrite sur papier, peut être qu'en travaillant avec un scénariste... En tout cas, je laisse ça aux professionnels !

Si vous aviez la possibilité de travailler avec quelqu'un, qui choisiriez-vous ?
Igor : Je serais ravi de travailler avec Alan Moore, il écrit de formidables histoires. Darko Marcan, aussi, mais on va bientôt travailler ensemble. J'aimerais vraiment travailler avec Alan Moore, c'est en quelque sorte une envie silencieuse, car je l'avais rencontré à Angoulême, mais j'étais tellement effrayé que je n'avais pas osé l'approcher ! Pour moi, l'ultime comics est Watchmen.

Si vous aviez une gomme magique pouvant corriger une partie ou un détail d'un de vos albums, l'utiliseriez-vous ?
Igor : L'art est tout sauf parfait, j'aime bien lire mes anciens titres, j'y vois mes erreurs et cela me motive pour ne plus les faire. Salvador Dali disait que les choses parfaites sont ennuyeuses, et je pense que c'est vrai ! Je laisse l'appréciation de mes premiers travaux aux lecteurs, seul eux jugeront.

Merci beaucoup Igor !!!!