L'histoire :
En ce jour de la fin du XVIIIe siècle, Guillaume, jeune médecin dans un hospice, découvre Jean Chapelet, un de ses patients, mort de vieillesse dans son lit. Tandis que la procédure funéraire s’accomplit, il s’intéresse aux murs de sa chambre, recouverts d’écrits et de dessins. Il entreprend alors, patiemment, nuit après nuit, à la lueur de sa bougie, à tout remettre dans l'ordre et à tout retranscrire sur papier. Il apprend que l’histoire que Jean raconte est la sienne et celle de son frère Jacques, quelques années plus tôt. Célibataires, la quarantaine bien tassée, les frères Chapelet entreprennent à l’époque de restaurer un château en ruine et d’harmoniser la propriété toute entière selon la pensée de leur idole, le philosophe Jean-Jacques Rousseau. Par exemple, ils plantent des pancartes en divers lieux du parc, portant des citations extraites de l’Héloïse. Pire, ils adaptent leurs existences aux principes rousseauistes, sans en comprendre toujours très bien la substantifique moelle. Ecoutant leur nature intérieure, l’un s’adonne alors à la peinture, l’autre au violon. Peu à peu, leur admiration se mue en idolâtrie… et ils envisagent d’inviter le grand homme chez eux. Triple hélas, le marquis de Girardin les devance sur ce projet, en accueillant le philosophe en son château d’Ermenonville. Qu’à cela ne tienne : les frères Chapelet s’y rendent et traînent leurs guêtres plusieurs jours durant dans le parc… jusqu’à croiser enfin leur idole. Mais lorsqu’ils se manifestent à lui, ils l’effraient ! ...Et ce dernier meurt d’apoplexie quelques heures plus tard.
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Le scénariste Pierre Makyo fait ici une adaptation en one-shot du roman éponyme de Frédéric Richaud, avec le soutien et l’assistance de ce dernier. Le cœur du sujet est à la fois simple et vaste : vers la fin du siècle des lumières, deux frangins un peu extravagants se prennent d’idolâtrie ultime pour une future superstar posthume de la philosophie : Jean-Jacques Rousseau (de son vivant, il suscita surtout la controverse et la censure). Que les anti-intellos se rassurent : le récit est accessible à un large public, quand bien même le lecteur a complètement oublié le bachotage de sa classe de première. Au-delà de quelques réflexions philosophiques brillamment amenées, on retrouve la même truculence de ton que pour le Peuple des endormis (excellent, du même Richaud, avec Tronchet). La réflexion est saupoudrée mais sérieuse, sans se prendre au sérieux. Car il faut les voir, ces deux abrutis en train de déterrer et trimballer le corps putride de Jean-Jacques (avec la nuée de moucherons qui les suit…). En confiant le dessin au trait réaliste de Bruno Rocco, les auteurs trouvent le juste équilibre entre le grotesque des situations et le sérieux du propos (et des dialogues, exquis !). Car tout excessif qu’il puisse paraître, le phénomène de vénération demeure contemporain : on le retrouve démultiplié aujourd’hui avec le star-system et le tapage médiatique autour des peoples. Or, s’il n’est pas impossible en soi que le culte d’une tierce personne révèle une saine émulation, il produit tout de même la plupart du temps une désaffection morbide vis-à-vis du propre destin de celui ou celle qui en est victime. Makyo fait une véritable relecture du récit original, en intégrant une seconde trame narrative à la BD (le docteur Guillaume qui retranscrit l’histoire, entre deux aléas sentimentaux avec la none). Si ce parti-pris n’apporte rien en soi au propos, il permet étonnamment de l’« asseoir » régulièrement et de finir par une lueur d’espoir au milieu de la bouffonnerie. C’est brillant, génial, encore, on vous aime, on vous adoooôôre…