L'histoire :
1930. Un corse en costume blanc débarque en catimini sur l’île de Majorque, un flingue dans la ceinture du pantalon. On lui indique l’endroit où se trouve le français « El loco ». Le tueur attend de français patiemment à la sortie du bar principal. Il lui tire une balle en pleine tête. Jean Jaurès a ainsi été vengé : son assassin Raoul Villain a été abattu. Tel est le rapport qu’on présente à Léon Blum, qui regrette que la SFIO ait entériné le contrat sur la tête de cet homme, juste après la panthéonisation de Jaurès en 1924. Blum et ses proches ignorent alors que le tueur, un corse, une tête brûlée de la première guerre, n’en a pas fini avec les exactions. Car dans les semaines qui suivent, cinq hommes sont assassinés à la manière des traîtres, c’est-à-dire par arme à feu à bout portant et dans la nuque, avec des balles du même calibre. Le commissaire Belin et ses hommes se mettent sur l’affaire avec professionnalisme. Mais au départ, ils ne font pas le lien avec la vengeance réclamée par le peuple de gauche, suite à l’acquittement du meurtrier de Jaurès…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Dans la réalité historique, Raoul Villain, l’assassin de Jean Jaurès, a effectivement été assassiné à Majorque… mais 6 ans plus tard par rapport à cette fiction, en 1936, par des anarchistes espagnols. Ici, Jean-Pierre Pécau et Fred Duval réécrivent donc l’Histoire de manière uchronique – c’est le principe de la série Jour J – mais de manière particulièrement ténue, concernant un fait mineur, sur un personnage secondaire que le grand-public méconnaît généralement. La postface de Gilles Candar remet néanmoins l’intention en perspective de l’Histoire : la SFIO corse, dirigée par un admirateur de Jaurès, a effectivement émis une motion en 1919, un contrat sur la tête de Villain… qui n’a jamais connu de suite. Comme souvent dans les récits du duo Pécau-Duval, afin de bien définir le contexte de l’uchronie, les politiques de l’époque (Léon Blum, Georges Mandel…) palabrent beaucoup en amont et en aval du meurtre, au gré des séquences alternées. Le personnage actif de la fiction est néanmoins le tueur corse, déterminé et majoritairement muet, ainsi que les policiers qui mènent l’enquête sur la série d’assassinat qui s’ensuit. Car la mort de Villain n’est ici que le préambule d’une série de meurtres commandités… dont on vous laisse découvrir le mobile. Le one-shot se montre donc cohérent et plaisant à lire, même si toujours très « technique » et secondaire par rapport à l’Histoire officielle – les russes sur la lune, ou les soixante-huitards au pouvoir, ça avait quand même plus de carrure ! Le plaisir de lecture doit cependant beaucoup au dessin semi-réaliste de Gaël Sejourné, un crayonné sur-contrasté (a priori) colorisé par lui-même. Le dessinateur qui a déjà réalisé un Jour J (le tome 2) ainsi qu’un Homme de l’année (1967) avec le tandem de scénaristes, en profite pour mettre en scène des caricatures d’acteurs français bien connus (Jacques Villeret, Bernard Blier) à travers des acteurs non officiels de l’affaire.