L'histoire :
Le 14 septembre 1940, sur le champ de tir d’El Terrer, près de Paterna en Espagne, un peloton d’exécution franquiste fusille 15 prisonniers politiques. Cette exécution intervient 532 jours après la fin de la guerre civile espagnole. Sous une chaleur écrasante, des soldats inexpérimentés, désignés d’office comme volontaires, sont contraints de participer à l’exécution. Les prisonniers, liés par les poignets, sont alignés côte à côte face aux soldats. L’officier avertit les jeunes recrues que tirer à côté entraînera leur propre condamnation. Tremblants, les soldats ouvrent le feu. Les survivants, blessés et agonisants, sont abattus à bout portant par l’officier. Les corps ensanglantés sont rapidement enterrés dans une fosse commune, sans cérémonie, laissant derrière eux une terre gorgée de sang et de douleur. Des décennies plus tard, sous la démocratie, des efforts commencent à être déployés pour identifier les victimes et restituer leurs dépouilles à leurs familles. Parmi elles, la fille de José Celda, une des victimes, parvient enfin à retrouver les restes de son père après 70 ans de recherches. En mémoire de ces hommes, les fosses communes deviennent des lieux de recueillement où chaque nom est gravé sur un carreau de céramique, souvent accompagné de fleurs et de couronnes mortuaires.
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
« Celui qui ne connaît pas l'Histoire est condamné à la revivre »... Cette phrase de Georges Santayana, rendue célèbre par Winston Churchill, illustre parfaitement le propos du nouvel album de Paco Roca, qu'il signe en compagnie de Rodrigo Terrasa, journaliste émérite. S’appuyant sur une recherche historique rigoureuse, les deux auteurs mettent en lumière les cicatrices laissées par la guerre civile et la dictature franquiste. La narration, organisée en un va-et-vient constant entre passé et présent, entre 1940 et 2013, date à laquelle ont eu lieu les excavations des fosses communes situées dans le cimetière de Paterna. Paterna a été le théâtre d'évènements tragiques avec plus de 2 200 personnes, victimes de la terrible répression franquiste, qui ont été fusillées et enterrées entre 1940 et 1945. Ce récit reflète avec justesse les méandres de la Mémoire collective, soulignant l’importance de transmettre ces récits pour comprendre, de dépasser les douleurs pour apaiser, de comprendre pour apprendre... Les auteurs s'appuient sur des personnages réels, à commencer par celui de Pepica Celda, dont la quête est autant personnelle que collective, et celui de Leoncio Badía, fossoyeur héroïque qui, au péril de sa vie, a permis à des familles de garder espoir. Ces personnages sont complétés par celui de l’archéologue enceinte, métaphore du lien entre passé, présent et futur, et par les figures collectives des femmes – mères, veuves et sœurs – qui, dans leur dignité silencieuse, incarnent le poids d’une tragédie nationale. Au-delà de la restitution historique, ce roman graphique interroge profondément sur le besoin universel de justice et de Mémoire. Le dessin de Roca, à la fois sobre et évocateur, magnifie le récit, insufflant une émotion brute et palpable. Bien plus qu’un hommage, L’Abîme de l’Oubli est un cri, une quête d’humanité, et un appel à ne jamais oublier ceux que l’Histoire a tenté d’effacer.
