L'histoire :
Il faut s’avoir qu’au tout début, l’éléphant n’avait pas de trompe. Il était tout au plus pourvu d’un nez noiraud, courtaud, gros comme une botte, qu’il pouvait tortiller de droite et de gauche, mais sans pouvoir ramasser les choses avec. En ce temps, mu par une insatiable curiosité, un tout jeune pachyderme agaçait alors ses amis animaux de mille questions impossibles. Et pourquoi la girafe est-elle tachetée ? Et pourquoi l’hippopotame a-t-il les yeux rouges ? Et pourquoi, pourquoi, pourquoi ? Cette curiosité n’était guère récompensée : plus il questionnait alentours et plus on le rossait de coups en retour. En réponse à l’une d’entre elles – qu’est-ce que le crocodile mange pour dîner ? – l’oiseau Kolokolo lui conseilla d’aller chercher sur les rives du Limpopo. Aussitôt, « l’enfant d’éléphant » se constituait un stock de vivres pour entreprendre son long voyage, jusqu’au fleuve gris-vert comme de l’huile, bordé d’arbres à fièvre. Au terme du périple, il interrogea un serpent-python qui, lui aussi agacé par sa question, l’envoya valdinguer d’un coup de queue. Chagriné, l’enfant d’éléphant s’en allait alors s’adosser à une « souche » verdâtre jonchée là, en bordure du fleuve…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Après avoir mis en bande dessinée le roman Sans famille d’Hector Malot (en 6 tomes), Yann Degruel rempile aussitôt à travers l’adaptation d’une nouvelle de Rudyard Kipling, l’Enfant d’éléphant, issue du recueil Histoires comme ça. Le public cible est cette fois les tout-petits, qui découvriront, sous la lecture de papa-maman, l’origine amusante et fantaisiste du nez démesurément long de l’éléphant (Darwin a du faire des bonds dans sa tombe). La morale nous prend également un peu à contrepied : elle frustre la curiosité et banalise les violences familiales ! Le ton est celui de la fable africaine – Kipling étant aussi l’auteur du Livre de la jungle – avec son lot de formules itératives et un style littéraire conservé de la nouvelle originelle. La narration use donc d’expressions et d’ambages un peu désuets, qui apparaîtront peut-être énigmatiques aux enfants biberonnés à la Nintendo. Ils participent néanmoins d’une première incursion dans les belles-lettres et se trouvent largement compensés par la gaieté du dessin, auquel le jeune public se raccrochera. Visiblement, Degruel s’est fait plaisir en tant qu’artiste, tantôt dans le découpage (les tribulations autour de la girafe !), mais surtout dans la technique de dessin. Ici, il utilise apparemment des crayons gras, des craies, sur un support marron cartonné, pour un rendu doucement pâteux, le tout dans un format carré original. Histoires comme ça a inspiré Degruel : l’auteur s’est d’ores et déjà attelé à l’adaptation du Chat qui s’en va tout seul, issu du même recueil…