L'histoire :
Dans la France des années 1870, alors que l'affront de la défaite face à la Prusse est encore vif, le sculpteur Auguste Bartholdi travaille d'arrache-pied sur le projet d'une grande statue de la Liberté qu'il construirait en l'honneur de l'amitié entre son pays et la jeune démocratie américaine. Il ne s'agit pas de son premier projet de ce type, puisqu'il avait ambitionné d'ériger une immense statue de femme face aux côtes égyptiennes, juste après la spectaculaire ouverture du canal de Suez. Mais il avait échoué à convaincre le vice-roi d'Egypte, qui trouvait que l'œuvre proposée manquait d'âme. C'est sur ce même problème que bute l'artiste avec ce nouveau projet, cherchant sans cesse de nouveaux modèles pour incarner sa liberté et lui donner enfin un visage. Il doit pour cela multiplier les essais avec des modèles patients, mais dont il ne parvient pas à extraire la noblesse recherchée. Sa mère, par ailleurs, continue d'exercer sur son fils de 40 ans une forme de tyrannie, l'empêchant de croiser des femmes qui s'éloigneraient de sa vision des choses, très marquée par sa religion protestante. Lorsqu'il se voit présenté à Mme Singer, la très riche femme du fondateur de la marque de machines à coudre, il pense avoir trouvé la muse tant attendue. Il ose lui demander de bien vouloir poser pour lui...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
C'est une histoire très ancrée dans son époque que nous propose Céka pour son deuxième Homme de l'année, après un épisode consacré à la découvertes des Amériques. On y croise les grands noms de l'impressionnisme qui sont ridiculisés par la critique et les voix très officielles du marché de l'art, pas encore prêtes à comprendre un mouvement qui bouleversera les canons de la peinture. On y croise Victor Hugo et Gambetta, et des visions politiques qui dépassent de loin la toute récente perte militaire. Au milieu de tout cela, Bartholdi est présenté comme un artiste qui doute de sa pertinence et de son talent, impressionné plutôt par les grands constructeurs comme Eiffel et De Lesseps, qui imposent leur savoir-faire et leur technique. C'est donc avant tout cette recherche d'un visage qui constitue l'intrigue de cet album, introduisant agréablement une petite histoire derrière un grand monument. Les hésitations et les difficultés du sculpteur sont bien séquencées et mises en scène, le personnage de la maman insupportable étant parfaitement incarnée par les dessinateurs Senad Mavric et Filip Andronik. Leur travail réaliste et efficace ne souffre d'aucune critique, même s'il ne montre aucune originalité. Mais une nouvelle fois, grâce à un effet de loupe habilement choisi, l'Homme de l'année va nous donner envie d'approfondir nos connaissances sur un pan connu de l'Histoire. Ce sera en allant finalement voir de près à quoi ressemble vraiment cette dame imposante. Pour réaliser qu'on ne l'avait jamais réellement regardée dans les yeux.
