L'histoire :
La plupart du temps, dans le quartier, c'est calme. Voire mort en journée. Le jeunes dorment tard, les parents travaillent dur. Pour les autres, ceux qui n'ont pas de boulot, c'est le grand désœuvrement. Alors dans les troquets/tabac/presse, ça joue beaucoup. Aux cartes, mais encore plus en engraissant la Française des Jeux. Momo y croise ses potes mais il fait la tronche. Y'a eu embrouille la veille. Ça a commencé hier matin dans la cour de récré du collège et ça s'est terminé au calibre dans la nuit. Deux gamines se sont pourries et à la sortie des cours, y'a eu prise de tête entre les mères. Une gifle est partie. Deux heures après, le père a débarqué chez celle qui a tapé et l'a braquée avec un flingue. Il voulait parler au père, mais il n'avait pas du bien se rancarder : c'est un caïd et on ne menace pas son ex-femme comme ça. Alors le cador a posé la tête sur le tapis de prière et il est parti en guerre. Il a débarqué dans la barre du mec soi-disant offensé par la gifle, a défoncé sa porte... mais le type s'était déjà barré, certainement mis au parfum entretemps. Ils l'ont cherché toute la nuit et ils ne l'ont pas trouvé. Un de plus qu'on verra plus dans le coin. Sinon, globalement, c'est calme, dans le quartier.
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Avec La part du ghetto, Corbeyran et Yann Degruel ont adapté le livre de Manon Quérouil et Malek Dehoune. L'autrice est journaliste et c'est à travers la description de parcours de vie qu'elle propose une vision des banlieues. C'est la Seine-Saint-Denis qui a été le terrain de ses observations et il faut bien avouer que sa démarche ressemble à celle qui consiste à montrer la poussière que notre pays dissimule sous le tapis, depuis quelques décennies maintenant. En dressant une série de portraits de jeunes hommes et de jeunes femmes, elle met l'accent sur cette fameuse fracture sociale, mais aussi sur celle, générationnelle, parmi les beurs. Elle s’intéresse aux logiques d'action des individus, à ce qui fait sens chez eux. Et sans vouloir non plus simplifier son travail, on en tire la conclusion que la religion est très secondaire, mais que le cœur de la problématique est la seule réponse contre la pauvreté : la recherche effrénée de l'argent et le recours au banditisme comme seule réponse que les uns et les autres y trouvent. Les jeunes dont on parle ici sont attirés par les lumières d'un Paris dont ils sont exclus. Braquages, trafic d'armes et de stups, prostitution et proxénétisme, sous des formes très organisées, constituent le fil permanent de la BD. Pour autant, cette œuvre a le grand mérite de ne pas non plus stigmatiser un peu plus les quartiers. C'est là qu'on reconnaît la patte journalistique : des faits sont exposés et les protagonistes ont leur raisons. Ils ont fait des choix, que la Loi et la morale réprouve, mais ils ne sont ni victimes, encore moins des exemples à suivre et, naturellement, en répondent devant la Loi quand ils se font serrer. La prison est donc aussi un incontournable. Là aussi, on trouvera de quoi réfléchir à ce qui s'y produit. Le propos est fort, à la limite de la sociologie du quotidien des tieks, comme disent les jeunes et le dessin en trames de gris de Yann Degruel épouse la couleur du béton de ces tours qui abritent une vie que ceux qui n'y vivent pas ignorent ou jugent. Ce livre leur permettra sans doute de changer leur regard. En tout cas, il leur donnera l'opportunité de se questionner sans trop vite formuler de conclusions simplistes. Car pour ces jeunes, la question du devenir revient à devoir tourner le dos à leur passé, ou rester, au risque de tourner en rond indéfiniment. Un déchirement dans lequel ils doivent se construire.