L'histoire :
En février 1950, le géomorphologue français Jean Malaurie se trouve dans le Hoggar algérien, en mission pour le CNRS. Il y fait des relevés géocryologiques et thermométriques afin de comparer la gélifraction en ces hautes altitudes avec celles qu’il a relevées au Groenland deux ans plus tôt. A dos de chameau, un touareg lui apporte alors un télégramme. L’ambassadeur de France à Copenhague l’avertit que son projet de mission à partir de Thulé, la cité la plus septentrionale de la planète, est acceptée. Malaurie se retrouve ainsi l’été suivant sur un bateau à destination du Groenland nord-ouest. Son objectif, avant tout scientifique, est d’étudier les éboulis, de faire des prélèvements et de dessiner une carte de ces contrées majoritairement inconnues. Un brise-glace le débarque à Thulé le 23 juillet 1950, à proximité d’un groupe de hameaux inuits, un peuple installé là depuis 4000 ans. Ces derniers regardent bizarrement cette bête curieuse venue d’un autre monde, mais ils l’acceptent pour ce qu’il est : un occidental un peu farfelu. La première étape pour Malaurie consiste à s’entretenir avec le chaman local, Uutaaq, afin que celui-ci l’accepte et l’aide en lui adjoignant le recours d’un guide. Il va donc à sa rencontre, accompagné du pasteur local qui lui servira de traducteur…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Le français Jean Malaurie, ethnologue, historien, écrivain, géographe et géomorphologue, fut le premier homme à atteindre le pôle nord géomagnétique le 29 mai 1951 en compagnie de l’inuit Kutsikitsoq et de deux équipages de chiens de traineaux, en longeant la côte ouest du Groenland sur la banquise. C’est cet exploit humain que le scénariste Makyo et le dessinateur Frédéric Bihel retracent et adaptent dans cet album one-shot de plus de 130 pages. Etant donné le sujet et la nature de sa matière première, la narration s’effectue logiquement à 95% à travers des encadrés narratifs. Un grand soin est porté à l’écriture, pour un plaisir de lecture essentiel, qui nous fait vibrer au rythme des étapes, des embûches, de l’état moral et psychologique des explorateurs. La grande force de Makyo est de parvenir à saisir et transmettre l’essence humaine de l’expédition, qui nous transporte véritablement au plus proche de deux découvertes majeures. La première, à travers le dessin assez rough de Bihel, c’est ce paysage glacé particulièrement inhospitalier, mais sublime : la banquise à perte de vue, les falaises rocheuses, les aurores boréales, les passages chaotiques sous pression des glaciers… La deuxième, c’est le peuple inuit, peuple indien « premier » et animiste que la distance avec notre civilisation matérialiste et « bourrine » permet de rapprocher des forces shamaniques et/ou telluriques. Cette thématique aux frontières du paranormal est chère à Makyo, qui l’exploite souvent dans ses histoires. Dans le cahier documentaire final, aux côtés de nombres cliché et dessins bonus, le scénariste précise que « les inuits ont une représentation de l’univers dont l’amplitude dépasse de beaucoup les possibilités offertes par les organes habituels de la perception ». A travers le récit palpitant d’une expédition qui aurait pu virer au tragique, Makyo relate surtout le respect que voue Malaurie à cette lecture du monde radicalement différente de la nôtre. Et le regret, au regard de notre modernité alarmante, de n’avoir pas cherché à la protéger.