L'histoire :
République tchèque, mai 2007. Le bug d’un Babyphone permet à un homme d’intercepter les images d’une gamine couchée sur le sol d’une maison voisine, nue et menottée. La mère de l’enfant est arrêtée, inculpée d’activités pédopornographiques. La jeune fille : Anna, 13 ans, est placée mais parvient à s’enfuir. L’enquête policière montrera qu’il s’agit en fait d’une femme de 33 ans, Barbora Škrlová, qui a subi opérations, entrainement et régime pour se transformer en fillette. Son père, ancien chef d’une troupe scoute d’extrême-droite, semble lié à l’affaire. Les mobiles sont-ils sexuels ou sectaires ? L’opinion et les médias tchèques s’enflamment. Quelques mois plus tard, Barbora Š. est retrouvée en Norvège sous l’identité d’Adam, un garçon du même âge. Rapatriée en Tchéquie, elle est inculpée de plusieurs crimes mais ne semble être qu’un pion. L’affaire, jamais complètement élucidée, conduira à l’adoption de nouvelles lois sur la protection des victimes d’actes criminels.
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Découvrir un album de ce niveau-là laisse perplexe. La force du graphisme, moderne, informatique, maîtrisé, est évidente dès les premières pages. On a sûrement dû être familiarisé à cette forme de BD alternative d’Europe de l’Est, au travers de récits courts dans des revues telles StripBurger, quelques Mooks ou certains fanzines de qualité. D’autres éditeurs français défricheurs, tels Ici même, ou Presque Lune nous ont aussi quelque peu familiarisé à cette BD, développant souvent une narration graphique un peu froide, carrée. Ici, un intéressant travail propose différentes formules de mise en cases, passant de pages aux petits agencements fluo très schématisés (iconifiés), à des planches davantage comics adulte, aux couleurs moins criardes, à des passages flashback encore plus aérés, sépias. Des tonalités nous baladant entre l'esthétisme géométrique d'un Chris Ware, qui jouerait avec Arthur De Pins, le gaufrier froid d'un auteur des éditions Tanibis, ou la rigueur d'un Sebastien Goethals. En tous cas, le travail impeccable de Marek Pokorny, l'un des meilleurs dessinateurs de la scène pragoise actuelle. Tout cela sur la base d'un excellent travail de journalisme, donnant à comprendre l'incroyable mouvement de fond, stratagème sectaire hallucinant révélé inopinément par ce fait divers sordide. Vojtek Masek et Marek Sindelka le décortiquent mais le racontent avec passion et talent, évoquant (malgré eux ?) dans ce thriller à forte odeur fantastique le travail d'un Alan Moore revisitant Lovecraft. Tellement à l'aise qu'ils se paient le luxe de rajouter un « What If » transitoire, évoquant brièvement ce qui se serait produit si... Si ce voisin n'avait pas capté et regardé par hasard le film de cette gamine torturée. Et « transitoire », car la fin, bien incapable de donner toutes les clefs de l'affaire, laisse quelques points en suspens, apportant tout son sens au terme « étrangeté » du titre. Une révélation et un livre absolument fascinants.