L'histoire :
Assis confortablement chez lui, entouré de cartons, Joël Alessandra regarde « tous ces objets inutiles ramenés du fin fond de l’Afrique, ces dizaines de carnets emplis de dessins… » Une façon pour lui de se remémorer ce qui lui avait donné le goût du voyage. Tout débute avec l’achat d’une photographie de Depardon alors qu’il n’était qu’étudiant. Lors d’une exposition son regard se porte sur une image représentant une jeune Ethiopienne qui fixe l’artiste avec « une gravité intense ». A 24 ans, il doit faire son service militaire. Au lieu de partir pour mettre son treillis et apprendre le maniement des armes, il choisit de travailler dans la culture dans une ambassade à Djibouti. Son histoire de reporter débute ici, par ce plongeon dans cet autre monde. Du golfe d’Aden à Bukavu, ville martyre dans l’est du Congo, en passant par Annaba sur les rives algériennes de la Méditerranée et par Bangui, en Centrafrique, il discute avec les autochtones, anime des ateliers dessins, rencontre des personnalités… A chaque fois, il ressort différent des échanges qu’il a pu avoir. Il se sent mal face à la détresse d’une femme prête à lui donner sa virginité contre un mariage. Puis il doit faire face à la misère qu’il rencontre presque partout, que cela soit dans des villes au prestige perdu ou des villes qui se construisent sur l’envie de survivre. Un point commun lie ces êtres : la volonté de s’en sortir. Tel le docteur Mukwege, célèbre gynécologue et militant des droits de l'homme congolais, qui consacre sa vie à aider les femmes, victimes des guerres, de viol, de traumatisme, en soignant autant le corps que l’esprit et en les réinsérant socialement. On partage des instantanés intenses et réalistes d’une Afrique sous domination masculine et victime de manipulation politique.
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
A chaque début de récit, une première page indique le pays, la ville et une citation. Une courte introduction pour entrer directement au cœur du moment que Joël Alessandra souhaite partager. Quelques pages suffisent à nous rendre compte de deux choses. La première : sa qualité et la précision de ses crayonnés, la justesse des couleurs utilisées. Nous percevons très vite les ambiances locales, que ce soit dans les déserts infinis ou les villages très pauvres. L’immersion se fait d'autant mieux que l'auteur se représente dans ses histoires. Il trouve le juste équilibre entre l’histoire racontée et l’insertion des croquis de ces carnets. Tout cela accorde de la vraisemblance, c’est un véritable témoignage. Ce qui amène au second point avec l’émotion vive qui transparaît dans chacune de ces aventures. Le dessinateur doit faire face à la misère qui s’installe face à un pouvoir corrompu et profiteur, un pouvoir qui engendre tellement de souffrance. Les guerres et les rivalités de clans conduisent à des viols de femmes et d’enfants. Sans oublier l’exploitation des femmes et leur soumission, l’excision dû à la présence de religions écrites par et pour des hommes. Toutes celles qui osent, qui parlent, qui veulent changer leur condition doivent subir des réprimandes psychiques et physiques. Un mari a le droit de battre, de violer, d’humilier et même de laisser mourir son épouse s’il le souhaite. Pour échapper à ces conditions terribles de vie, certaines sont prêtes à « se donner » à des occidentaux. Ce que l'auteur souligne avec élégance et qui donne le titre, c’est la force et le courage de ces femmes qui continuent à croire à des lendemains plus cléments.