L'histoire :
En octobre 1913, l’allemand Heinz est en mission océanographique à bord du Kaiserin Augusta IV, un navire militaire qui croise au large de la Papouasie. A passer ses journées à peindre sans cesse, il fait tâche sur le pont, parmi tous ces marins disciplinés et fiers de servir la grandeur de leur patrie. Aux yeux des autres, il est un fainéant, un socialiste idéologiste. Lors des discussions engagées avec le capitaine, Heinz prend conscience que son humanisme n’a pas sa place sur ce navire. Il est ici pour nourrir la force centrifuge qu’est devenue la triple alliance. L’avenir n’appartient pas aux faibles, l’Allemagne s’éveille. Le médecin de bord, qui s’enorgueillit de la supériorité de la race germanique, tente de lui faire comprendre, violemment, le sens de leur mission, en disséquant devant lui un soldat tué par les papous. A ce qu’il parait, ces indigènes là se mangent entre eux. Le Kaiserin Augusta IV remonte le fleuve Sépik, s’enfonce dans la jungle et fait une escale. Heinz se joint aux marins qui descendent à terre et apprécie aussitôt la beauté de la jungle, luxuriante. 3 mois plus tard, lors d’une expédition de ce type, la troupe allemande découvre une clairière avec des centaines de crânes humains plantés sur des piques… Horrifiés, certains envisagent de massacrer les responsables de telles pratiques et ils capturent quelques instants plus tard une indigène. Un groupe opposé, parmi lesquels Heinz, s’oppose à cela. L’attaque imminente et radicale de la tribu mettra tout le monde d’accord…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Jusqu’alors surtout connu en tant que journaliste de bande dessinée, Thierry Bellefroid se lance pour la première fois en tant que scénariste. Et quitte à aller au charbon, autant embrasser d’emblée des sujets aussi universels et abyssaux que l’humanisme, l’art et la guerre… Cela dit, le récit de voyage de ce peintre allemand (a priori fictif et inspiré par Otto Dix ?), qui a le tord d’être humaniste à la veille de la grande guerre, parvient plutôt pas mal à nous titiller la fibre philosophique. Ici en marge de l’élan patriotique de l’époque, Von Furlau a « mal à son Allemagne ». Il cherche à donner du sens à l’humanité et à l’accorder à son humanisme. Il se heurte alors frontalement aux outrances civilisationnelles de l’époque. L’anthropophagie des indigènes de la jungle est-elle préférable à la boucherie de la bataille de la Somme ? Le paradis perdu après lequel court Von Furlau est-il une vaste utopie ? Partiellement emprunté à Claude Levy-Strauss (Tristes tropiques), le titre ne fait pas référence qu’aux latitudes des papous… Sur le plan artistique, le travail expressionniste aux bâtons à l’huile de Joe G Pinelli est monumental. Chaque case constitue une mini-toile de maître, sur des fonds abstraits et torturés, tantôt de couleurs glauques et sang (la jungle), tantôt gris comme le marbre funéraire (ce qui a trait à l’armée). Pourtant, sur le plan de l’art séquentiel, accrochez-vous pour tout piger par le dessin ! Aucun personnage n’est précisément identifiable et le flou des décors ne vous aidera guère… Bref, la lisibilité est minimale. Et que penser de cette couverture étrange, toute caca d’oie, qui ne se rapporte à rien de particulier du récit ? Un homme quitte la civilisation en marge de la voie toute tracée ? En effet, en quête de sens, le héros ne trouvera la paix et l’harmonie qu’au plus éloigné de ses pairs, c'est-à-dire seul sur l’océan. En présentant la création artistique aliénée par le chaos de la guerre, ainsi que l’errance sans fin du marginal qui refuse cet état de fait, ce récit est définitivement pessimiste sur la nature humaine.