L'histoire :
30 octobre 1974, Kinshasa, Zaïre. Il est un peu moins de quatre heures du matin quand Abbas, un journaliste photographe, progresse dans la foule qui a pris place dans le stade du 20 mai, plein comme un œuf. Le match aurait du avoir lieu quatre semaines plus tôt, mais quelques jours avant cette date, George Foreman, le champion du monde en titre, s'est fait amocher l'arcade sourcilière lors d'un entraînement avec son sparring partner. Un toubib spécialisé en cicatrisation est même venu spécialement des USA pour donner son avis. Pour Don King, le promoteur qui organise son premier championnat du monde, pas question d'annuler l'évènement. Il y a énormément d'argent en jeu, un festival « Live in Africa » accompagne l’évènement pendant trois jours et sa dimension est telle que Woodstock est censée être une petite fête de village en comparaison. Muhammad Ali n'est plus Cassius Klay depuis environ 10 ans, mais il n'est plus non plus champion du monde depuis trois ans. Il tient enfin sa chance de reconquérir le titre. Mais son adversaire est un monstre : 40 combats, aucune défaite et 37 victoires par K-O. Le match a aussi une dimension politique : le Congo est désormais le Zaïre, présidé par Mobutu, qui n'ignore pas que le milliard de téléspectateurs pressentis amènera une lumière sans précédent sur son pays... et son régime. Le combat du siècle va bientôt commencer : The Rumble in the Jungle !
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Ali-Foreman. Cette affiche qui s'approche furieusement du demi-siècle reste un moment transcendant du sport mondial. S'il y a eu beaucoup de livres et de reportages à son sujet, cette BD fait bien plus que de raconter strictement ce combat légendaire. En s'appuyant sur les quelques photos prises par Abbas, reproduites ici comme des cases de planches dans lesquelles elles s'intègrent avec parcimonie, c'est la vie des protagonistes qui est aussi passée en revue. Voire la vie de ces années 70 marquées par la Guerre Froide et la décolonisation. La République du Zaïre, Mobutu et la « Zaïrisation » – concept qui tendait à écarter toute référence à l’Occident – et la boxe qui devient un enjeu symbolique autant que politique : ce sport de blancs dont le zénith est organisé par des hommes de couleur et « pour » des champions qui sont des hommes de couleur. Tout cela est campé d'emblée, si bien que l'atmosphère étouffante se dégage des pages, comme elle devait régner dans le stade qui abrita « The Rumble in the Jungle ». Avec d'habiles flashbacks, on voit dérouler le parcours du GOAT (The Greatest of All Times) et de celui qu'on surnommera plus tard « Big Georges », celui du sulfureux Don King et également celui du photographe, témoin de ce moment d'Histoire du sport, d'Histoire tout court. Les pages de cet album défilent comme celles du passé des protagonistes. Les rounds s'égrainent sous le crayon nerveux et puissant de Rafael Ortiz. La boxe est une danse violente, un sport dans lequel les champions ne peuvent pas tricher. Jean-David Morvan ne connaît pas non plus le chiqué. Le rythme de sa narration écarte tous temps mort, mais ménage des pauses qui permettent de respirer, comme après le son de la cloche entre deux rings. Le scénariste orchestre à merveille ce ballet à quatre boules de cuir et il arrive même à nous faire aimer les hommes qu'étaient ces deux monstres sacrés de l'anglaise ainsi que Abbas, celui qui les immortalise avec ses clichés pris à hauteur du ring. Il nous rappelle qu'Ali fanfaronnait à tout va mais était en réalité terrifié d'affronter Foreman qui lui, fut profondément affecté, avant et après le combat, de l'inimitié qu'il avait déclenchée sur place. Pour ses propos patriotiques, pour avoir débarqué sur le sol de ce pays avec son berger allemand, chien que les « colons belges » utilisaient pour mater les insurrections. Voilà, cette bande-dessinée nous embarque à la fois dans les coulisses et au cœur de l'évènement. Elle raconte une histoire d'hommes, leur histoire... La boxe est le noble art et cet album remarquable nous rappelle que le 9ème peut, parfois, lui emprunter ce qualificatif.