L'histoire :
Nouvelle-Calédonie, année 1984. Gocéné rentre chez lui. Il est accompagné de son ami Francis qui conduit. La situation politique instable, la voiture est arrêtée à une vingtaine de kilomètres du village perché de Tendo, près de Poindimié. Deux jeunes Kanaks – armés de fusils dont ils semblent ne pas savoir se servir – enjoignent au métropolitain de s’en retourner. Pour lui, le voyage s’arrête là ; Gocéné devra continuer à pieds. Prenant le temps du dialogue, le vieux Kanak raconte à ses compatriotes son histoire. Le Français qu’ils ont renvoyé n’avait rien à se reprocher. Il n’était pas leur ennemi. De fait, c’est grâce à lui que Gocéné est là aujourd’hui. L’homme a été jusqu’à faire de la prison pour l’aider. Cela remonte déjà à loin. Tout commença début 1931, quand Gocéné et une trentaine d’autres jeunes indigènes du village de Canala où il grandit, hommes et femmes, furent choisis pour se rendre à Nouméa puis gagner Paris. Les autorités leur expliquèrent qu’ils y représenteraient la Nouvelle-Calédonie à l’occasion de l’exposition coloniale devant se tenir à Vincennes. Présenté comme « la chance de leur vie », ce voyage devait leur ouvrir de nouveaux horizons. Arrivés après avoir voyagé durant des jours sur un navire en condition de passagers de troisième classe, ils furent de fait aussitôt parqués derrière des barreaux, au sein d’un village kanak reconstitué, forcés de jouer au primate « anthropophage » devant des visiteurs venus contempler le spectacle de sauvages figurant le plus bas degré d’évolution de l’humanité…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
A la suite d’un voyage en Nouvelle-Calédonie en 1997, Didier Daeninckx apprit une vérité édifiante : à l’occasion de l’exposition coloniale de 1931, une trentaine de Kanaks y furent contraints de figurer le plus bas degré d’évolution de l’humanité, jouant au primate « anthropophage » – comme l’écrivait la pancarte de leur enclos – devant des visiteurs amusés. Parmi les Kanaks, certains furent même échangés contre des sauriens (crocodiles) pour les besoins des autorités ! Edifiant, vraiment, près d’un siècle après l’abolition de l’esclavage ! L’histoire fut romancée par Daeninckx sous le titre Cannibale, succès de librairie aujourd’hui adapté en bande dessinée par les soins d’Emmanuel Reuzé. Si le sujet est d’importance – à connaître de tous pour mémoire – le traitement proposé par Reuzé s’avère bien convenu. Choisissant une narration linéaire en flashback, l’auteur relate fidèlement et efficacement les faits. Mais efficacité narrative et plaisir de lecture ne marchent pour une fois pas de paire. Le résultat est plat, sans réelle consistance dramatique, sinon l’horreur rapportée. De même, si l’effort graphique est louable – scrupuleux, soigné, documenté – le trait est parfois emprunté, s’égarant sur des maladresses de proportions comme d’attitudes des personnages (à la différence des expressions justes des visages). La volonté de mouvement n’est pas toujours au rendez-vous. Et la mise en couleur réaliste ne rattrape pas vraiment l’ensemble. Au final, la lecture se révèle plaisante et facile – accessible à tous – mais le sujet méritait une claque, une vraie leçon ! Avis partagé donc sur cet album au mérite public d’évidence, mais à la mise en forme timide. Une alternative (dispensable ?) au roman. A découvrir cependant.