L'histoire :
Ce 23 décembre 1916, troisième hiver de la Guerre, une tout autre affaire préoccupe le Vatican. Dans la cité enneigée, Bernard de Chartres rentre de mission faire son rapport à sa sainteté Benoît XV. Les nouvelles sont bonnes : le manuscrit a été retrouvée, le faux prophète est mort et la Sainte Russie orthodoxe prend l’eau en proie à la lèpre révolutionnaire. Son entretien terminé, le clerc ne quitte plus sa cellule pour rédiger son rapport. Un rapport qui débute près de 15 ans auparavant sue les terres inhospitalières du massif caucasien. Un étranger se présente au monastère Mar Moussa, lieu unique de la chrétienté recélant les écrits des Pères de l’Eglise. Raspoutine feint une attaque de pillards bédouins et implore en pèlerin un asile mérité. Venu s’isoler la nuit dans la chapelle pour prier, il y est rejoint par le frère bibliothécaire qui lui refuse l’accès au « trésor ». Qu’à cela ne tienne, le Russe parvient à droguer et duper son hôte et, le lendemain, après un départ précipité, il s’arrête en chemin confier à Dieu sa mission. Quelques mois plus tard, le siège romain apprend la dramatique disparition du manuscrit …
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Diplômé en Histoire, Tarek entretient aussi une relation particulière avec la Russie. La Sainte Russie, celle d’avant la révolution bolchevick et nihiliste de 1917. Après le succulent Tsar fou (avec L.Chouin), la collection Trilogies accueille en son sein Raspoutine, une enquête mêlant habillement ésotérisme et Histoire. Au travers d’un personnage tantôt taxé de charlatan, d’usurpateur voire de gourou (bref, qui ne laisse point indifférent !), le scénariste restitue l’ambiance d’une époque, la destinée d’une famille (les Romanov) et donc d’un Empire. Le ton adopté par la narration « off » peut surprendre, parfois très « mâchée », presque enfantine. Faut-il y voir une déformation professionnelle d’un auteur maintes fois récompensé pour ses séries jeunesses ? Sans doute pas. Depuis le Troisième Testament (Dorison, Alice), la controverse biblique a la vent en poupe. Récemment vient d’être publié l’édition scientifique d’un évangile attribué à Judas. Les écrits et manuscrits controversés, parce qu’ils pourraient saper l’ordre établi, font parler. L’essentiel reste d’en offrir un traitement singulier. Et à l’instar du Triangle secret (Convard & co.) mais dans un genre différent, Raspoutine s’annonce passionnant, promettant en outre une fin prochaine, bien écrite et correctement ficelée. Au dessin, Vincent Pompetti préfère un trait faussement emprunté à une ligne claire, trop certaine. Parfaitement en phase avec une réalité terre et grise, les couleurs apposées par Remy Langlois évitent le tape à l’œil comme l’intrigue se défie des clichés. Moteur d’un univers complexe tinté de pourpre comme d’exotisme, aux confins de l’Europe, aux portes de l’Orient, Raspoutine est une figure (à l’image de Sir A.Benton ou du Tsar), non un héros. Dépeindre une civilisation comme conter une histoire réclame une connaissance des nuances qui, à l’inverse d'un propos manichéen, font le sel de l’Histoire.