L'histoire :
L’affaire se présente mal. Les incantations prononcées par Jacob au chevet de la malade ne paraissent guère porter leurs fruits. Quand une corne de brume se fait entendre : un navire est à l’approche. Une chaloupe est mise à la mer et arrive, à travers la brume. Un jeune homme très bien en débarque, qui semble meurtri par la perspective… Deux mois plus tôt, Darius Kingsley – puisque tel est son nom – était à Londres. Brillant étudiant à la faculté de biologie, il est appelé à défendre sous peu sa thèse devant le gratin des professeurs du collège. Mais voilà, Darius a décidé de jeter aux orties le sujet convenu qui devait lui valoir son précieux sésame de sortie, pour rallier les thèses du professeur Darwin. La chose est tenue secrète et déplaira sûrement. Effectivement, l’audace ne plût guère. L’intervention de son père – propriétaire de la fameuse compagnie Kingsley – limita cependant les dégâts. L’homme qui nourrit pour son fils de grands desseins (dont celui de le marier à l’héritière de la compagnie Borrow) a obtenu que Darius soit, pour toute punition, envoyé deux ans dans l’archipel de Saint-Kilda afin d’y étudier la faune et la flore, pour le compte de la Faculté. Voilà comment, ce jour brumeux de l’année 1860, le jeune homme débarque ainsi sur l’île d’Hirta, seule habitée par une centaine d’âmes de l’archipel. Un archipel au large des Hébrides extérieures, propriété de la famille McLoad, vivant en autarcie depuis près de mille ans. Une société que l’on dit « parfaite », à l’image de l’Utopia décrite par Thomas More. C’est pourtant à coup de pierres, et donc visiblement avec méfiance, qu’est accueilli Darius. Les indigènes le soupçonnent d’être un esprit, envoyé du diable. Mais lorsqu’il dit être docteur, l’espoir de sauver la malade renaît…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Scénariste du très remarqué Chéri Bibi – mais aussi du détonant Chevalier malheur, du magnifique La voix ou, plus récemment, de Sept pirates – Pascal Bertho signe aujourd’hui aux éditions Emmanuel Proust le premier volet d’un diptyque, dans la veine du roman d’aventure populaire et naturaliste. L’auteur, qui s’y connaît en ambiance historique, a déniché un sujet en or : l’archipel de Saint-Kilda, qui vécut jusqu’aux années 1860 pendant près de mille ans, en quasi-autarcie, coupé du monde. Une société vierge de loi – sinon divine – d’argent, ignorante des destinées industrielles comme de réalités simples telles... un arbre ! Un trésor d’histoire fantastique en perspective comme l’indique le titre de ce livre Un, Les esprits d’Hirta. Notre héros, le jeune Darius, scientifique cartésien et convaincu des thèses révolutionnaires de Darwin, est le trublion parfait à cette micro société idéale, tout aussi ingénue que superstitieuse, hostile a priori à toute forme d’évolution. Il y a un peu du Marquis d’Anaon sur le titre, dans l’esprit comme dans l’atmosphère. L’intrigue intercale à ses débuts l’action présente et l’explication passée, puis déroule une narration linéaire classique. Si l'on est au final peu surpris de l’ultime rebondissement, on demeure très curieux de la suite : le récit est en effet laissé en plan, comme suspendu dans l’écho d’une détonation dont la victime reste inconnue... Au pinceau, le Sieur Chandre, qui fit ses armes dans la collection Agatha Christie, livre une palette réussie de planches réalistes en couleurs directes. Le soin témoigné à l’attitude des personnages comme à l’ambiance (embrumée ou non) de chaque case, convainc pleinement. La couverture seule devrait vous convaincre de craquer pour ce album. Un bel album. Et l’on signe sans réserve dans l’attente de sa suite. Du mystère, de l’aventure : que du plaisir ! A suivre…
