L'histoire :
En 1816, dans l’amphithéâtre d’anatomie comparée, un scientifique mène une conférence sur le cas d’un spécimen humain embaumé : la Vénus Hottentote. Au milieu de la pièce, trône la réplique d’une femme noire, aux fesses anormalement rebondies. Sur la table, des bocaux contiennent ses parties génitales et son cerveau, dans du formol. Le discours porte sur les similitudes avec la morphologie des primates et nul ne s’émeut de la destinée tragique de la personne, qui portait néanmoins le nom de Saartjie Baartman. Il faut attendre 1974, pour que l’exposition de cette « Vénus » soit suffisamment inconvenante aux yeux des visiteurs du Musée de l’Homme, pour être remisée. En août 2002, au terme de procédures juridiques et parlementaires abscons, l’Afrique du sud parvient enfin à se faire restituer ses restes. Quelle fut donc la vie de Saartjie Baartman ? En 1810, l’anglais Alexander rend visite à sa famille émigrée en Afrique du sud. Il reste alors subjugué par le fessier rebondi de la nounou, Saartjie, qui présente une stéatopygie flagrante (hypertrophie des hanches et des fesses) et le fameux « tablier Hottentot ». Il imagine alors le formidable profit financier qu’il tirerait s’il présentait cette femme dans une revue nègre en Europe. Au tarif de 10 000 livres, il négocie son achat à son propriétaire et la convainc aisément : puisqu’elle sait danser et chanter, elle va devenir une artiste et se produire sur les plus belles scènes du monde…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
En parallèle de la sortie du long métrage qui a défrayé la Mostra de Venise (2h40, sorti le 27 octobre 2010, signé Abdellatif Kechiche), Venus noire parait également en un one-shot de bande dessinée, réalisée par l’auteur complet Renaud Pennelle. Pour ce passage du 7e au 9e art, en totale collaboration avec Abdellatif Kechiche, Pennelle a carrément bâti son récit sur le scénario du film (dans lequel il fait d’ailleurs de la figuration). Quand bien même, au final, les deux versions sont distinctes, car elles se sont naturellement et différemment écartées du script originel, l’impression de voir un film en BD transparait fort bien de la BD : une intro en flash-forward, pas d’encadré voix-off, une narration visuelle et un puissant sentiment de malaise, une fois la dernière page refermée. Car depuis notre regard du XXIe siècle, le sort de Saartjie Baartman fut effectivement ignominieux, au point de devenir le double symbole de l’exploitation des « races inférieures » par l’européen colonisateur, et de la récupération de leurs biens culturels par les peuples autochtones. A travers le regard de Pennelle, le récit de la descente aux enfers de Saartjie Baartman est très éloquent. Le style de dessin, qui montre les différents traits, comme des esquisses directement mises en couleurs, pour un rendu volontairement un peu crado, pourra rebuter les chantres de la ligne claire ou du dessin « propre ». On leur rétorque que ce parti-pris spontané et artistique convient parfaitement à l’histoire et qu’il fonctionne ici à 100%. Le sordide va naturellement crescendo, sans avoir besoin d’en rajouter des louches sur l’exploitation du corps très particulier de la « Vénus Hottentote ». Il parait juste un peu bizarre que son particularisme physique, son histoire et les circonstances de la BD soient détaillés en épilogue et non en prologue de ces 127 planches bouleversantes.