L'histoire :
Six ans, c’est l’âge auquel on ne peut plus officiellement user ses culottes courtes sur les mêmes bancs qui, à l’occasion, froissent les robes des filles. Aussi, considérant que la communale est aux mains des communistes, le père du petit Christian confie t-il le fiston à une institution catholique doté d’un pensionnat. Le premier jour, dans la cour d’honneur, anciens et nouveaux subissent le sermon d’accueil de l’abbé Lespart, le supérieur, qui donne le « la » : vertu, amour du Tout Puissant, foi en la justice, travail, abnégation… Une prière conclut le discours, puis c’est au tour de l’abbé Breuil de jouer sa chanson : nettement moins parabolique, elle a d’abord pour objet de tenir comptabilité de ceux qui pissent au lit… Breuil est un multicarte. Aussi à l’aise à l’économat, qu’en tant que préfet de discipline, préfet des études, confesseur… quoique son dada soit plutôt l’infirmerie : l’introduction du suppositoire pour combattre les petits rhumes semble être le préféré de ses divertissements… Il y a aussi Sœur Marie-Claire, au parfum nauséabond, des redoublants cruels et le pauvre Aupetit. Le malheureux gamin qu’on ne vient chercher qu’une fois par mois et qui garde sur la tête, hiver comme été, sa casquette doublée mouton…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Indélébiblement (sic) marqué par neuf années de pensionnat catholique, Christian Binet se livre avec l’Institution à un récit autobiographique poignant : une salve d’anecdotes authentiquement authentiques , pudiquement distillées derrière un paravent d’humour, que le papa des Bidochons manie depuis toujours avec talent. De ces années, il nous dit presque tout, prenant soin de réveiller ses sens tels qu’ils avaient fonctionnés pendant ces maudites années. Ainsi, tout en gardant leur distance enfantine, œil, doigt, papille ou narine du gamin Binet, nous invitent derrière les quatre murs de l’établissement. Galerie de personnages tantôt vachards, tantôt attachants, brimades enfantines, jeux potaches, infirmier aimant donner le suppositoire ou discipline ecclesiatico-militaire rythment cet apprentissage singulier de la vie. On rit souvent du drame qui nous est présenté, Binet usant savamment de l’angle comique pour assoir son propos : système, humiliation, cruauté et autres anciens pincements sont généreusement servis par un humour dégraissant. Au final, on assiste, derrière ce trait « gros nez » volontairement rond comme un nez de clown, au tableau d’une enfance déshumanisée. Neuf ans où la quête de l’affectif, pour ne pas dire de l’amour, est omniprésente. Neuf ans à attendre, comme le silence des dernières planches l’expriment si justement, un geste paternel, une simple main tendue habile à orienter la courbe de la bouche vers le haut… Et puis 20 ans plus tard, ce témoignage en forme d’exutoire. Une auto-thérapie, ou peut-être plus simplement un message adressé au père disparu : oser enfin lui dire, par delà la mort, ce qu’il n’avait jamais pu. Un moment exceptionnellement touchant, en tous cas.