L'histoire :
Assis côte à côte sur un canapé, un homme et une femme témoignent tour à tour de leur vie de couple. Avec des points de vue distincts, mais relativement concordants, ils commencent par relater leur rencontre à la fac. Lui, plutôt beau gars décomplexé, a des tonnes de filles faciles autour de lui, et il n’a guère besoin de faire des efforts pour passer du bon temps. Elle est plus réservée, douce et distinguée. Ce sont des œillades, puis la rencontre, le premier baiser lors d’une soirée bien arrosée… et le mariage, fastueux, réussi. Les deux époux s’installent dans un grand appartement en ville – lui a dès le départ une bonne situation et son ambition lui assure un avenir radieux. Elle n’a donc pas besoin de travailler, juste à combler son homme de milles petites attentions quand il rentre le soir, elle a carte blanche pour la déco, les courses et les petits plats. Sa meilleure amie serait presque jalouse de cette situation si… elle n’avait pas remarqué une petite trace sur sa joue. Une bête gifle, avoue-t-elle : les tensions sont aigues au bureau en ce moment, son homme est à cran. Et puis elle l’avait énervé, c’était un peu de sa faute, aussi. Ça n’est pas grave, il a promis qu’il ne recommencerait pas…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Et de deux. A 6 mois d’intervalle, deux ouvrages – évidemment bouleversants – sont parus sur la violence conjugale. Après le Inès de Dauvillier et d’Avau, c’est au tour de Sylvain Ricard et de James de se prêter à l’exercice, avec (eux aussi) beaucoup de talent. Le sujet est suffisamment grave pour mériter une journée annuelle, lors de laquelle on nous répète que tous les 3 jours une femme est tuée par son conjoint, que 90% des meurtres de femmes sont perpétrés par leur compagnons, que ce problème touche tous les pays, toutes les classes sociales, toutes les religions… Hormis un titre excellemment bien trouvé, le présent ouvrage brille par sa capacité à aborder franchement – et sans voyeurisme – les facettes les plus pernicieuses de la problématique. Car comme souvent, nos deux protagonistes s’aiment véritablement, culpabilisent chacun et acceptent finalement les circonstances atténuantes de leur situation. D’emblée, le parti-pris narratif est astucieux : l’homme et la femme témoignent au lecteur de leurs états d’âmes « face caméra », de manière la plus objective possible, avec une sincérité confondante. Mais ils sont côte à côte, sans jamais se regarder, comme si l’autre était absent ou… méprisé, au bénéfice de leurs propres individualités. Car c’est là que se trouve la clé du couple : dans la conjugaison harmonieuse ou non des individualités. Entre chaque point de vue, on suit les évènements en flashback, comme s’il s’agissait de reportages dans l’intimité de la construction-destruction de leur couple. Sur 140 planches, « lui » et « elle » nous exposent donc les faits en profondeur, qui passent par les « bons conseils » des amis, la honte de la famille, les mauvaises excuses (« c’est normal, c’est hormonal chez l’homme »), la transposition juridique, l’arbitrage des autorités, le détachement des médecins blasés… et la solitude de l’épouse. Car Ricard n’oublie pas que la brutalité physique passe également par la violence psychologique et qu’elle se répercute nécessairement sur les relations intimes. Le scénariste parvient remarquablement à aborder chaque facette de la problématique avec la dignité idoine, sans juger, sans pathos, avec la juste émotion. Le dessin de James, qui emprunte une nouvelle fois son style zoomorphique (plus spontané chez lui), parvient lui aussi à trouver la pudeur nécessaire, à varier les cadrages et la mise en scène, en noir et blanc. Un ouvrage désormais indispensable sur la question.