L'histoire :
Aujourd'hui, Teo doit aller amener la gamelle à son père à l'usine. C'est comme ça quand il faut enchaîner deux quarts consécutifs de travail, seize heures non stop au milieu des hauts fourneaux. Le gamin ne comprend pas pourquoi il faut absolument aller lui apporter ce deuxième repas, pourquoi il n'en prend pas deux en partant, tout simplement. Les enfants n'ont théoriquement pas le droit de franchir le périmètre des installations. Mais Teo sait comment éviter en douce le poste de garde, et se retrouver au milieu des coursives, du bruit assourdissant, de la chaleur incroyable. Quelques décennies plus tard, Teo devenu adulte retrouve dans sa cuisine un vieil homme qui perd la tête. C'est Titi, qui était le contremaître de son père. Il lui raconte les dernières heures de travail et ce dont il se souvient du drame. Il lui dit aussi pourquoi son père voulait absolument qu'en ressentant la peur, à côté du métal en fusion, il fasse tout pour ne jamais avoir à travailler à l'usine.
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Le premier souvenir de ce troisième album est tout simplement bouleversant. La course de Teo dans les escaliers en caillebottis au pied des immenses fourneaux est fascinante de vérité. La cinquième page du livre est tout bonnement fabuleuse, avec le gamin en short qui lève les bras vers son visage pour se protéger du bruit. Tout l'art de Baru se retrouve dans ces premières pages rapides, pleines de la violence invisible du quotidien, dans ce milieu ouvrier des années cinquante. L'émotion est sous-jacente, partout dans les moments familiaux, les non-dits entre générations, et la manière dont l'auteur se met en scène en train de tenter de démêler des témoignages contradictoires. Les enfants d'immigrés italiens trouveront dans ces trois albums une histoire en creux de leur propre famille. Baru sait aller chercher des histoires vécues, les romancer à sa manière, tout en faisant un véritable travail de sociologue, sans jamais alourdir son propos. Bella Ciao est d'ores et déjà une œuvre unique sur les enfants d'immigrés, Hervé Barulea a réalisé ce que personne n'avait fait avant lui. Ni en bande-dessinée, évidemment, ni par d'autres moyens. Plonger de cette manière dans ses propres racines avant qu'elles deviennent inaccessibles, à l'image des souvenirs confus du vieux Titi, raconter sa propre enfance à travers celle des autres, dans les villes de Lorraine où le charbon et la sidérurgie avaient fait venir des dizaines de milliers d'italiens prêts à accepter les boulots les plus difficiles. La trilogie se conclut de manière touchante et vraie. L'auteur est au sommet de son art, plus libre que jamais. Avec toujours une pensée pour ceux qui font aujourd'hui ce que les italiens ont fait dans la première moitié du siècle dernier.