L'histoire :
10 ans après la déflagration qu’a représentée l’attentat contre Charlie Hebdo et l’assassinat des dessinateurs parmi les meilleurs de la profession, le caricaturiste Aurel se représente plus que jamais comme un funambule marchant sur un fil. L’équilibre à maintenir est si précaire… Il a conscience et lance l’alerte : le dessin de presse (et plus globalement l’humour d’actualité au sens large) se meurt. Le massacre infâme des frères Kouachi n’a été qu’un facteur aggravant qui accélère la sénescence de son métier. En premier lieu, la presse écrite va mal, les ventes de « journaux papier » sont en chute libre. Moins de ventes = moins de revenus = les rédactions se retrouvent en quête d’économie. Les premiers à pâtir de ces réductions de lignes comptables est forcément ceux qui, par leur approche sardonique et irrévérencieuse peuvent susciter des « vagues » (donc des procès et des coûts, ou de mauvaises publicités). L’époque voit d’un côté une poussée de fièvre illibérale, et de l’autre une société de plus en plus chatouilleuse sur tout un tas de sujets. Aurel se sent désormais pris dans un étau, qui se referme inexorablement sur sa profession. De fait, la plupart des dessinateurs/trices se découragent de leur propre chef, ce qui arrange bien les rédac’chefs, qui limitent leurs soucis tout en continuant de manière hypocrite de dire tout le bien qu’ils pensent du dessin de presse avec des sanglots dans la voix…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Bien que réalisé au travers d'une bande dessinée, ce fascicule signé Aurel se situe en marge de la production « régulière » de BD. Le dessinateur de presse partage ici à « voix » haute et à grand renfort de dessins le mettant lui-même en scène en proie à des éléments symboliques (le fil du funambule, l’étau géant, le puits sans fond, le déguisement de putois…) pour caractériser sa profession qu’il estime en danger. Aurel lance ici un cri d’alerte sur l’affaiblissement du nombre de contrats pour des dessins de presse, qu’il attribue à tout un tas de facteurs concomitant. Primo, les attentats contre Charlie engendrent une autocensure naturelle, des rédactions ou des dessinateurs eux-mêmes. Deuxio, la presse est en crise. Tertio, la crise de la presse arrange bien les rédactions qui rognent sur l’achat de dessins de presse, tout en continuant hypocritement à en vanter la nécessité. Quatro, la période illibérale, les wokistes, les néo-réac, les néo-moralistes et l’opinion publique de plus en plus fracturée et diversement radicale autour de tout un tas de sujets de société à la mode, font qu’on ne peut plus se moquer de tout sans passer pour un féminazi, un antisémite, un raciste, un homophobe… Aurel a sans aucun doute raison de tirer la sonnette d’alarme. Dans son analyse, il oublie cependant la concurrence féroce des réseaux sociaux, l’immédiateté des mèmes qui, bien que moins talentueux et souvent bas-du-front, se propagent plus vite qu’il ne faut de temps pour penser et exécuter un dessin pamphlétaire, pour être aussitôt remplacé par le suivant. Triste époque.