L'histoire :
Le 16 octobre 2016, Ali Arcady, photojournaliste d’origine kurde, arrive sur la base militaire de Qayyarah (90 km au Sud de Mossoul). Il a été envoyé ici par Der Spiegel (quotidien allemand) pour faire un reportage sur les combattants de l’ERD (les forces armées irakiennes soutenues par une coalition internationale) contre Daesh, l’état islamique (EI) qui a instauré un califat sur une large région d’Irak et de Syrie. On lui assigne une tente, dans laquelle il dort mal, aux côtés de deux journalistes occidentaux. Alentour, ça pue le cramé et le phosphore. Dès le lendemain matin, il suivra le capitaine Omar Nazar et le caporal Haider, deux chefs de l’ERD expérimentés et rompus aux interrogatoires musclés. La difficulté du contexte est de parvenir à distinguer les réels combattants de Daesh, des civils qui n’ont pas eu d’autre choix que de se soumettre. Les deux jeunes interrogés, qui sont restés 2 ans dans un village occupé par Daesh, ont l’air sincères lorsqu’ils disent qu’ils n’ont rien à voir avec l’EI. Omar et Haider sont par nature dubitatifs… et ils utilisent des méthodes quelque peu radicales… que Ali immortalise avec son appareil photo. Ne se met-il pas en danger au sein même de l’ERD, avec un tel reportage ?
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Une mouvance orientale a suivi les guerres réactives américaines en Irak. Cela a abouti à la création de l’Etat Islamique, contre lequel une coalition internationale et l’armée régulière d’Irak a combattu, de 2013 à 2017. Dans ce contexte, la bataille de Mossoul (2ème ville du pays) fut longue et intense. Cet Homme qui en a trop vu (un titre emprunté à un numéro de Télérama) est authentique. il s'appelle Ali Arkady et il co-signe le scénario de cet album-témoignage avec Simon Rochepeau. Le photojournaliste raconte en caméra subjective et avec le souci de « porter la plume dans la plaie », ce qu’il a vécu en 2016 au contact des milices « musclées » qui luttaient contre Daesh. Les méthodes de ces hommes pour lutter contre la barbarie ne sont guère vertueuses. Il faut croire qu’il fallait des procédés cruels et inhumains pour être à la hauteur de l’ignominie primale. Et Ali suit cela, il photographie, il devient un témoin embarrassant… et il est parfois forcé de participer aux exactions, afin de prouver qu’il est du même côté. Au final, il se met terriblement en danger, lui et sa famille, et doit s’asseoir sur l’éthique. Isaac Wens dessine à l’aide d’un trait encré réaliste, rehaussé d’une ou deux teintes de bichromie terne en aplats, ce qui est parfois issu de clichés photos. Mais contrairement au Photographe de Didier Lefebvre, Frédéric Lemercier et Emmanuel Guibert, dont cet album se rapproche terriblement, il n’y a pas d’alternance de photos et de cases dessinées (hormis dans le dossier final 100% photos). Ce témoignage est saisissant, glaçant, à réserver à un public averti en raison des scènes de tortures, qu’on voit à peine, mais dont l’évocation psychologique pèse lourdement.