L'histoire :
A l'automne 1917, le lieutenant Verbrugge, un ancien anarchiste manchot et désabusé, est convoqué dans le bureau du capitaine Bouchardon, dans un bâtiment militaire des arrières. En bureaucrate expérimenté et blasé, Bourchardon lui explique sa nouvelle mission et les raisons qui ont poussé ses supérieurs à le choisir, lui, pour ce faire. A la demande du gouvernement belge, il s'agit d'escorter le bourreau de Paris, Anatole Deibler, en compagnie des « bois de justice » (une guillotine), jusque Furnes, en Belgique. Là-bas, le bourreau devra exécuter un condamné à mort, Emile Préfailles. Car si la peine de mort n'a pas été abolie dans ce pays, le roi des belge s'évertue depuis 50 ans à signer des recours en grâces systématiques. Le bourreau des belges actuellement en place n'a donc jamais eu droit d'exécuter quiconque... Or, étant donné la nature particulière de cette mission, l'ennemi allemand est tout à fait disposé à laisser le convoi traverser la ligne de front ! Les états de service de Verbrugge le disposent à exécuter cette mission à la lettre. Il rend donc une visite à Deibler, pour l'informer de la mise en branle de cette procédure bien huilée. Verbrugge ne voit alors que l'épouse du bourreau : reclus dans son bureau, ce dernier semble avoir quelques scrupules dans l'affaire... Mais au terme d'une longue discussion, il fait dire par sa femme qu'il accepte. Le capitaine Loth, qui seconde Verbrugge, réunit alors une équipe de 3 hommes et s'occupe des préparatifs techniques...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
A travers ce one-shot, François Bourgeron adapte de belle manière (en évitant de retranscrire littéralement) un roman brillantissîme de François Sureau, ancien énarque. Le titre, a priori, et le propos, a posteriori, nous donnent à réfléchir sur le sens et le poids de « l'obéissance ». En effet, la quasi-totalité des prévenus, au lendemain des conflits armés, ne montrent aucun scrupule devant leurs juges : ils sont au contraire fiers de leur discipline. Peut-on donc s'enorgueillir de s'être réfugiés derrière l'ordre et le devoir ? Est-ce se mentir que de nier la moindre once de responsabilité ? Dans cette histoire un peu dingue de bourreau à convoyer (d'un pays à l'autre, en passant par l'occupation d'un troisième), l'absurdité de la guerre et de la peine de mort se rejoignent. Dans le déroulé des évènements, cette mission confine même à une situation absurde paroxystique : au beau milieu d'une des pires confrontations guerrières de l'Histoire, un gouvernement envoie 7 hommes, au péril de leur vie, procéder à l'exécution d'un condamné de leurs rangs, avec la complicité de l'ennemi ! Dans la lignée de ce synopsis, on grimpe progressivement dans le kafkaïen : entre le bourreau des belges qui existe pour des prunes, le bourreau des français pleutre et cocu, et le condamné qui trépigne presque d'être exécuté, c'est à un voyage au bout de l'absurde que nous convie François Sureau. En tous cas, en marge d'une réflexion sur l'obéissance, cette histoire est divinement écrite et dialoguée. On touche sans doute ici à la quintessence de la conscience politique, du point de vue de la philosophie. Ou lorsque la machine administrative, l'appareil d'état, dans ce qu'ils ont de plus primaire, s'opposent à l'humanisme (ou à la morale) le plus élémentaire. On devine l'adaptation malaisée, car l'histoire morcelle les points de vue de moult protagonistes, des héros quasiment tous froids et méprisables, de par leur absence totale d'humanité. Mais en prime de l'excellent choix de l'oeuvre, Bourgeron trouve la juste mise en scène, et applique sa ligne graphique moderne et très personnelle (voir Aziyadé), rehaussée par la colorisation austère de Claire Champion. Le one-shot peut paraître difficile d'accès, mais il est plein de sens.