L'histoire :
En 1833, Fortuné Chabert n’a que 17 ans, mais il est éduqué et il a la vocation. Son job, c’est de sillonner les Alpes à pieds, de villages en hameaux, en tant qu’instituteur itinérant ou « colporteur en écriture », pour apprendre aux enfants à lire, écrire et compter. Les trois plumes sur son chapeau attestent de cette triple compétence. Fortuné voyage ainsi par tous les temps, mais plutôt en hiver, lorsque les enfants ne sont pas assujettis aux travaux des champs. Gîte et couvert lui sont volontiers fournis, étant donné qu’il ne coûte pas bien cher : 100 francs maximum de frais d’écolage par hameau, tout compris. Quand Fortuné arrive, on lui fait la fête ! Car c’est l’assurance d’apprendre des choses nouvelles, entre copains, avec un professeur sympathique et pédagogue. Il doit parfois affronter bien des réticences, notamment lorsqu’il s’occupe aussi des filles (à quoi ça sert d’éduquer les filles ?). Ou composer avec les lois en vigueur, qui l’autorisent ou pas à enseigner. La loi du ministre Guizot impose ainsi d’avoir le brevet pour enseigner. Fortuné doit alors se muter en colporteur de livres. Il achète une mule et deux grosses caisses sur lesquelles il écrit « Université des chèvres »…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
En différents lieux, cette histoire nomade de la transmission du savoir se déroule également à deux époques séparées de deux siècles. Mais c’est néanmoins une histoire pleinement cohérente et riche de sens, que nous livre ici Christian Lax. Cette « Université des chèvres », c’est à l’origine un principe global d’éducation itinérante mis au point par un héros fictif, Fortuné Chabert, « colporteur en écriture » à travers les Alpes durant la monarchie de Juillet (1833). Son parcours de vie l’emmènera chez les chercheurs d’or de Californie, puis chez les indiens navajos, où il poursuivra son œuvre instructrice. Cinq générations plus tard, de nos jours, sa descendante journaliste sera confrontée à la même ambition vertueuse… avec une finalité tragique. Dans l’Amérique de Trump et la société afghane, elle oppose alors deux conceptions de la transmission du savoir, différemment mortifères : l’école aux USA, où se déroulent parfois des massacres de masse encouragés par la NRA ; et l’école des talibans, proscrite aux femmes et orientée selon des préceptes fondamentalistes. A chaque fois, se confrontent deux conceptions de l’éducation : celle naturelle ou autonome issue de bonnes volontés et de talents locaux, et celle encadrée par l’Etat, autoritaire, souvent contre-productive. La narration de Lax se permet certes des coups d’accélération originaux, qui réfrènent l’attachement à la psychologie des personnages, mais ce parti-pris permet de couvrir admirablement le sujet. Et le bonheur est complet, car ce plaidoyer pour l’instruction libre s’accompagne visuellement par la « science des corps et des paysages » de Lax, comme le vante Pascal Ory (de l’Académie Française) dans sa postface. Cette histoire de près de 150 pages porte l’idée centrale émise par Nelson Mandela : « L’éducation est l’arme la plus puissante pour changer le monde ».