L'histoire :
Accompagné de quelques vautours et du cadavre de son capitaine, Souley, jeune tirailleur sénégalais, attend... Six ans déjà qu’il s’est engagé dans la glorieuse armée française pour les aider à civiliser ses frères d’Afrique. A cette époque l’ esprit blanc de la Colonne ne lui murmurait pas encore à l’oreille. Il y a 6 ans, Souley ne savait pas encore qu’en novembre 1898, le capitaine Boulet et son ami le lieutenant Lemoine en auraient copieusement assez de se faire tripoter dans les bordels parisiens. Ce qu’ils veulent, à l’époque, c’est sentir à nouveau la pression de la crosse au creux de leur main. Puis surtout retrouver les cavalcades et la sueur de l’Afrique. Aussi leur faut-il repartir, comme au temps où ils chevauchaient pour conquérir brillamment le Mossi. Un passage et un bel exposé devant la Société Coloniale Universelle, puis une rencontre avec le Directeur des affaires d’Afrique plus tard, ils sont quasiment comblés : ils partiront en expédition vers le Tchad pour faire la jonction avec deux autres missions, mais avec peu de moyens. Tant pis, ils feront sans et trouveront des solutions. Au moins, ils ont des fusils et quelques tirailleurs à disposition…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
La mission (ou « Colonne ») Voulet-Chanoine, ayant pour objet la conquête du Tchad (1898-1899) est un épisode peu connu – et peu glorieux – du colonialisme français. En tout cas, elle offre aujourd'hui au tandem Dabitch-Dumontheuil l’occasion de nous embarquer dans un récit aux accents à la fois dramatique et volontairement caricaturaux. Pour ce qui est du drame, l’Histoire a déjà elle-même tout construit. Il suffit juste de nous en administrer une douloureuse piqûre de rappel – voire une première injection – pour que resurgisse la mécanique d’un massacre infernal. Celui de milliers d’africains ayant eu l’infortune de se trouver sur la route de la tristement fameuse Colonne et refusant de lui céder vivres ou porteurs. Le tout confié au tempo d’idéologies colonialo-racistes et de l’universalité de l’abjection. Pour ce qui est de la caricature, rien de tel que l’énergie, l’expressivité à tendance burlesque du dessin de Nicolas Dumontheuil, ses ocres lumineux où le rythme de la mise en scène, pour tirer intelligemment la réalité vers quelque chose d’un peu plus bouffon. L’occasion aussi de soulager, par ce jeu de contraste parfois outrancier, la triste vérité. Enfin, le choix narratif (ayant pour base un pseudo dialogue entre un des tirailleurs de la Colonne et un esprit), tout aussi perturbant, équilibre définitivement le récit. Il permet, par son jeu cynique et caustique, la prise de distance nécessaire permettant à la fois de dépasser le drame et la bouffonnerie, pour porter notre réflexion. Aussi l’exercice déstabilisera t-il sans doute celui qui aime voire s’animer l’Histoire autour d’un réalisme ciselé. Mais pour qui raffole en particulier de la patte Dumontheuil, cet étonnante virée ne devrait pas laisser indifférent. Le récit est prévu en deux parties ; ce premier opus se charge des présentations : contexte socio-historique, tandem Boulet-Lemoine (les deux officiers à l’initiative de la mission expéditionnaire), préparatifs, arrivée en Afrique, enrôlement des tirailleurs et dérive sanglante, s’animent autour d’une voix-off et de dialogues particulièrement bien écrits.
