L'histoire :
Dans les rues de Liverpool, souffle un vent glacial. Il fait nuit et c’est l’hiver. Il ne cille pourtant pas. La fenêtre de son Bedford est grande ouverte depuis quelques heures. Il attend. L’homme arrive. Il lui loge une balle pleine tête. Même cadeau pour sa compagne. Il s’en va. Après c’est une routine. Martin Terrier sait faire : hôtel, nettoyage de l’arme, rangement, disparition des preuves, alcool, dodo et retour tranquille sur Paris. Chez lui, Stanley, son contact, l’attend. Devant un ballon de vodka glacée et une Mutzig, Terrier lui confirme qu’il veut définitivement se ranger. Ce projet risque de déplaire à Cox, le gros commanditaire qui lui fournit contrat sur contrat, pour des sommes bien rondelettes, depuis bientôt 10 ans. Tant pis. Il a murement réfléchi. Tant et si bien que tout est calé et qu’il largue appartement, fiancée et tout le reste. Après avoir récupéré son enveloppe chez Cox et entendu qu’on ne pouvait pas quitter le métier sans préavis, il rend visite à son « banquier » puis trace sa route. Destination : le passé, pour un petit patelin qu’il a laissé derrière lui pendant une décennie. Mais peut-on s’amuser à tirer des traits si facilement ?
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Après Le petit bleu de la côte ouest, Jacques Tardi retrouve un roman (le dernier) de son ami disparu, Jean-Patrick Manchette, pour une adaptation fidèle et ficelée. Le romancier, père du « néo polar »français, présentait son tireur couché comme un exercice technique avant tout. Pour autant, même simplissime et sans méandre vicieux, on s’y accroche facilement à cette intrigue, en se laissant happer par les déboires de « Martin » Terrier, son faux héros. Le texte est sec, cassant. Cantonnée à décrire, contrainte uniquement d’informer, la voix off s’interdit tout recul, toute velléité de creuser les psychologies, pour un effet voulu immédiat : éloigner toute forme d’empathie. Et ça fonctionne aux petits oignons : la galerie de salauds est garnie, les loosers sont aux taquets, notre tueur à gage en tête, pour une dégringolade millimétrée. Car si le scénario reprend les codes inhérents au genre, s’appuyant intelligemment sur le contexte sociopolitique des années 70 (magouilles politico-barbouzardes et consorts), il joue impeccablement le contrepied et nous balade comme de gros naïfs lourdauds. Car on y croit, nous, au délicieux retour de manivelle. On se persuade que ce tueur à gages froid est un fin calculateur, un scientifique de l’anticipation, un faux imbécile qui, de retour au pays, va en faire baver à son monde, emmener sa belle voguer vers d’autres cieux et déjouer les pièges que ses employeurs lui ont tendus… Que nenni ! Il s’agit simplement d’un crétin. Expérimenté dans le flingage, mais qui n’a aucun contrôle sur la situation et se retrouve au final la copie conforme du paternel qu’il exécrait. C’est en tous cas particulièrement noir, savoureux et bien fait. Dans cet univers, le trait si identifiable de Jacques Tardi fait des merveilles. Il en renforce chacune des ambiances, cadre les protagonistes avec science et détaille les décors avec jubilation pour une maitrise absolue du noir, gris et blanc. Du polar noir, à part, judicieux pour un excellent boulot d’adaptation.