L'histoire :
Enki Bilal imagine que 22 œuvres du Louvre sont hantées par des personnages ayant vécu à proximité de leurs créateurs ou des lieux de création. Chacun des 22 dossiers ouverts par ce recueil (qui n’a rien à voir avec une BD) s’appuie sur les mêmes étapes régulières. Primo, une double page noire de titre. Deuxio, un portrait tourmenté apparait en superposition de la photographie, pleine page, en face d’infos d’état civil. Enfin, tertio, une fiche technique jouxte une longue biographie imaginée du personnage, se terminant par sa mort tragique. Les œuvres au menu sont diversement des toiles, des sculptures, des zones du musée ou des « extraits » du patrimoine historique mondial. Liste exhaustive : La victoire de Samothrace, La Joconde, Le code de Hammurabi, Le retour de Marcus Sextus, Saint Louis Roi de France et un page, une Tête d’homme, les Salles rouges, la Grande Galerie, Jeune Orpheline au cimetière, Marchands de poissons à leurs étals, un Casque de type Corinthien, l’autoportrait de Dürer, Voltaire nu, un Taureau androcéphale ailé, le Christ mort, une Tête de cheval, un Lit romain, Les ombres de Francesca da Rimini et de Paolo Malatesta apparaissent à Dante et à Virgile, une Chambre à alcôve, La comtesse Del Carpio, Le bœuf écorché, Portrait présumé de Gabrielle d’Estrées et de sa sœur la duchesse de Villars. Un plan de leurs emplacements dans le musée est fourni en annexe.
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Soyons bêtes. Quand il s’agit de parler culture, ce préalable s’impose. Commençons par resituer le contexte. Depuis quelques années, le musée du Louvre donne carte blanche à de prestigieux auteurs de BD, afin qu’ils mettent en exergue ce haut-lieu d’exposition du patrimoine national, à travers un « exercice d’art séquentiel » (on va rester large). David Prudhomme, Marc-Antoine Mathieu, Nicolas de Crécy (entre autres) sont déjà passés par là… Et Enki Bilal répond donc ici à l’appel. Au fil du temps, Bilal a pourtant quelque peu délaissé le 9ème art au sens strict, au profit de l’art contemporain – et quand on voit sa côte, la plus importante de tous les « vivants », on aurait tort de lui en vouloir ! L’artiste a toutefois encore l'instinct du recul. Il a notamment assimilé le dérisoire du cahier des charges : sans doute y a-t-il une frontière invisible qui empêche à la BD (art mineur ?) d’accorder la toute-puissance (historique, humaine, symbolique…) qui émane de ces œuvres, à l’échelle de l’humanité. De là à ressentir ces œuvres comme hantées, il n’y avait qu’un pas… que Bilal a donc franchi. Son sujet était trouvé. Le procédé de la superposition portrait-cliché pourra paraître facile, au moins est-il juste. Pourquoi alors ces 22-là et pas d'autres ? Il s’en excuse en préambule : parce que c’est ainsi qu’il les a senties… et on se satisfait de ce compromis cohérent avec le propos. En outre, Bilal va au bout des aspects fictionnels et didactiques de sa démarche. Primo, il raconte, par écrit, 22 biographiques de personnages – la plupart fictifs – campées dans le contexte des œuvres, des artistes ou des lieux. C’est amusant et sérieux, à défaut d’être palpitant. Deuxio, il accompagne chaque œuvre d’une fiche technique simple et minimale, ainsi que de leur emplacement sur des plans en fin d’album. Prenez votre guéridon et suivez le guide…